Pourquoi il faut soutenir à fond la grève et les marches pour le climat des 15 et 16 mars et en faire des événements marquants

mercredi 13 mars 2019, par Jean Gadrey

C’est toute cette partie jeune de la population qui s’angoisse de l’effondrement et se mobilise sur ces sujets, qui voit la civilisation thermo-industrielle et le néolibéralisme débridé les emporter vers le cauchemar climatique et l’effondrement du vivant.

Article initialement publié sur le blog de Jean Gadrey, dans Alternatives économiques.

Pourquoi ? C’est simple :

1) parce que sans une mobilisation massive de la société civile à cette occasion (et par la suite, pour maintenir la pression), on peut être certain que les décennies à venir seront dramatiques pour l’humanité, et en premier lieu pour les jeunes d’aujourd’hui ;

2) parce que sans cela, on peut être tout aussi certain que les « décideurs » politiques et économiques actuels, soumis dans leur immense majorité aux lobbies d’affaires, se contenteront de « blabla » vert et de mesures molles au lieu d’engager la franche rupture « systémique » seule capable d’éloigner ou de freiner l’effondrement écologique et humain qui a commencé.

Je fais partie des signataires d’une tribune de chercheurs et scientifiques de toutes disciplines et de plusieurs pays dont le titre est « Nous, scientifiques, ferons aussi la grève scolaire du 15 mars ». Extraits : « Nous avons ressenti l’angoisse de chercheurs face à l’abîme auquel les confrontent des dangers inédits : ceux des effondrements en cours et probables de la civilisation thermo-industrielle et de l’épuisement de nos ressources naturelles… Jamais l’abîme n’aura été si béant entre ceux qui tiennent le manche, décident de l’orientation à prendre, et ceux qui souffriront de l’obstination des premiers à ne pas voir l’effritement physique et biologique du monde autour d’eux. Figurent parmi les premiers les actuels détenteurs du pouvoir économique, ceux pour qui seul compte de vendre plus, quel que soit ce qui est vendu et ses conséquences ; ceux qui maintiennent des procédures biaisées d’évaluation du risque des pesticides et autres substances dangereuses ; ceux qui proposent des investissements juteux dans les produits fossiles.

Y figurent encore moult dirigeants, ceux qui depuis des décennies ont bradé le pouvoir de régulation des États, ceux qui signent des accords commerciaux multilatéraux assortis d’une justice féodale à la solde de géants industriels ; ceux qui orientent la colère des foules vers des cibles trompeuses ou secondaires. A l’opposé se situent tous ceux qui pâtiront de l’obstination des premiers. Ce sont d’abord les lycéens et les étudiants qui suivent le mot d’ordre de grève climatique de Greta Thunberg ; et au-delà la jeunesse de la planète entière.

C’est toute cette partie jeune de la population qui s’angoisse de l’effondrement et se mobilise sur ces sujets, qui voit la civilisation thermo-industrielle et le néolibéralisme débridé les emporter vers le cauchemar climatique et l’effondrement du vivant.

Nous soutenons et rejoignons les enseignants comme les chercheurs, femmes et hommes, qui s’engagent à des titres divers auprès de la jeunesse. Nous ferons nous aussi la grève scolaire pour le climat le 15 mars ».

Un autre appel d’universitaires, plus récent (« La mobilisation mondiale du 15 mars, lancée par la jeunesse, doit nous interpeller et nous faire réagir ») dit la même chose, en y ajoutant une vive critique des pratiques et orientations de la recherche elle-même.

L’ANGOISSE, L’URGENCE, ET L’ESPOIR QUI DEMEURE ENCORE (UN PEU)

Ce qui domine dans ces appels et dans d’autres, dont l’appel unitaire de 140 organisations pour la « marche du siècle » du 16 mars, est d’abord l’angoisse, celle que je ressens depuis des années en pensant à l’avenir des enfants du monde, celle que partagent presque tous les chercheurs (et beaucoup de citoyen.ne.s) qui se sont penchés sur les constats scientifiques et sur les scénarios les plus sérieux qui prennent une allure de cauchemar. C’est ensuite l’urgence d’en finir avec la logique suicidaire d’un capitalisme thermo-industriel et financier qui se fiche complètement du long terme pourvu que les dividendes tombent à court terme, d’en finir avec le culte de la croissance économique et le consumérisme qui l’accompagne, pour privilégier la sobriété et retrouver l’espoir d’un monde vivable.

POURQUOI LE PIRE EST CERTAIN SI UNE RUPTURE SYSTÉMIQUE N’EST PAS ENGAGÉE VITE

Il y a encore dix ou douze ans, j’aurais écrit (et j’ai écrit) que, sans un changement de cap radical, le pire était très probable. On peut affirmer aujourd’hui qu’il est certain. Les hypothèses prudentes des années 2000 du GIEC sur l’évolution du climat, tout comme celles des scientifiques de la biodiversité, sont de plus en plus dépassées par les événements et par les prévisions plus récentes.

Qu’est-ce que « le pire » qui approche ? Prenons les trois grands volets (liés) que sont le climat, la biodiversité, et les pollutions multiples menaçant le vivant, dont les humains et leur santé.

CLIMAT

La perspective d’une « rupture climatique au-delà de + 2° (par rapport à l’ère préindustrielle, on en est déjà à un peu plus de 1°, et on progresse de 0,17° par décennie), une planète devenant « une étuve » (il faut lire cet article très sérieux d’août 2018, citant l’une des meilleures équipes de recherche du monde), le niveau des mers montant de plusieurs mètres voire plusieurs dizaines de mètres (le même article), des centaines de millions puis des milliards de réfugiés climatiques, l’eau potable manquant un peu partout, des feux de forêts toujours plus dévastateurs sur une planète asséchée : tout cela me semblait relever d’un catastrophisme démobilisateur il y a dix ou douze ans.

Or, depuis, ces tendances sombres sont devenues de plus en plus crédibles parce que rien de sérieux n’a été fait à une échelle suffisante pour inverser le cours des choses. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont poursuivi leur progression parce que la loi du profit et le pouvoir des multinationales, de la finance et de l’oligarchie ont continué à l’emporter sur la vie, celle des humains et celle des autres espèces. Parce que l’ébriété énergétique, propulsée par les grandes entreprises et par la folie de l’extraction du charbon, du pétrole et du gaz, l’emportent toujours sur la sobriété, sur les investissements d’isolation, dans des transports collectifs gratuits et dans les énergies renouvelables (dont le nucléaire ne fait pas partie).

Que serait un monde où le niveau des mers aurait augmenté de 5 mètres, de 10 mètres, de 20 mètres ou plus, ce qui devient probable si on ne fait rien de très ambitieux ? Voyez cette simulation sur une carte… S’agissant entre autres du « plat pays qui est le mien », il ne resterait pas grand-chose hors de l’eau !

BIODIVERSITÉ

Il me faudrait un ou plusieurs billets pour un bilan, qui n’est pas moins alarmant. Mais d’autres s’en chargent régulièrement. Entre autres L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le WWF, mais aussi la FAO car, comme le montre cet organisme onusien chargé de combattre la faim dans le monde, « de l’effondrement écologique à la famine, il n’y a qu’un pas » : « Sans biodiversité, les sociétés vont être confrontées à des problèmes croissants en matière d’alimentation. La biodiversité c’est une « myriade d’organismes qui soutiennent la production alimentaire par le biais de services écosystémiques… Des services « gratuits » du point de vue de l’économie humaine. Ces services sont rendus par « toutes les plantes, animaux et micro-organismes (tels qu’insectes, chauves-souris, oiseaux, mangroves, coraux, herbiers, vers de terre, champignons et bactéries du sol) qui maintiennent la fertilité des sols, pollinisent les plantes, purifient l’eau et l’air, gardent les poissons et les arbres en bonne santé, et combattent les parasites et les maladies des plantes et du bétail ».

Or cette biodiversité vitale est en train de plonger. On assiste notamment à un effondrement mondial des insectes, des vers de terre, des abeilles, etc. Voir entre beaucoup d’autres cet article récent « La disparition des insectes, un phénomène dévastateur pour les écosystèmes ».

Dans le même sens, voir cet article du 12 février 2019. Extraits : « À en croire les auteurs de cette synthèse de 73 études publiée dans la revue Biological Conservation, nous assistons même "au plus massif épisode d’extinction" depuis la disparition des dinosaures. Aujourd’hui, environ un tiers des espèces d’insectes sont menacées d’extinction "et chaque année environ 1 % supplémentaire s’ajoute à la liste"... En clair, "dans 50 ans il n’en restera que la moitié et dans 100 ans il n’y en aura plus". « Selon une étude parue fin 2017 et basée sur des captures réalisées en Allemagne, l’Europe aurait perdu environ 76 % de ses insectes en moins de 30 ans, contribuant à faire disparaître plus de 400 millions d’oiseaux. Oiseaux, mais aussi hérissons, lézards, amphibiens (comme les grenouilles), poissons... tous se nourrissent d’insectes. »

POLLUTIONS EN TOUT GENRE ENGENDRANT DES DÉSASTRES SANITAIRES

Dans ce domaine aussi, il me faudrait bien plus de place. Voici juste trois thèmes bien documentés. La pollution de l’air (notamment par les particules fines) tue sept millions de personnes par an dans le monde selon l’OMS, dont environ 500.000 sur le continent européen, 48.000 en France, 1.700 dans la métropole lilloise, mon territoire…

Pollutions chimiques entrant dans l’alimentation, dont les pesticides de synthèse et beaucoup d’autres produits nocifs qui opèrent comme des poisons. Les seuls pesticides tueraient 200.000 personnes par an dans le monde (chiffre contesté par la FNSEA, on s’en doute).

Pollutions des eaux et des organismes vivants (dont les organismes marins, poissons, crustacées, etc.) par le plastique et les micro-plastiques, voir ce billet : Les microplastiques sont-ils le prochain désastre sanitaire et environnemental ?

UN VIRAGE RADICAL OUI, MAIS LEQUEL ?

Je me contente sur ce point de mettre en débat les 14 propositions d’Attac (ci-dessous), toutes applicables à court terme, pour « amorcer » la transition vite. Je laisse de côté de grandes questions sur la nature du « système » qui nous conduit à l’abîme : on n’a pas forcément besoin aujourd’hui d’un accord total sur ce point pour agir très fort, et je me suis déjà exprimé dans ce billet : Lordon, Casaux, Ziegler, etc. : faut-il être anticapitaliste pour « sauver la planète » ? Je suis pour ma part convaincu qu’il faut absolument, en complément de ces mouvements massifs indispensables, des actions de désobéissance civile non violentes comme en mènent aujourd’hui de plus en plus d’associations militantes, Attac, Alternatiba, ANV-COP 21, et « Extinction Rebellion », dont les animateurs concluent ainsi leur récent appel à l’action :

« Nous sommes plein·e·s de rage contre un système qui organise la destruction du vivant et menace notre présent. Nous sommes empli·e·s d’amour pour cette planète. Le 24 mars, nous entrons en rébellion. »

Moi aussi, je suis en rage, ce n’est pas une question d’âge…

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P.-S.

Crédit photo : Wladislas AULNER

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