Taxation des multinationales : vers une réforme a minima

jeudi 20 février 2020, par Attac France

Alors que la réforme de la fiscalité des multinationales en négociation au sein de l’OCDE n’est pas de nature à résoudre le problème de l’évasion fiscale des multinationales, les États renoncent aux taxes GAFA nationales sous la pression des États-Unis.

Fin janvier, les 137 pays engagés sous l’égide de l’OCDE dans la négociation d’un accord sur la taxation des multinationales, notamment celles du numérique, se sont mis d’accord pour... aboutir à un accord d’ici la fin de l’année.

Il s’agit d’une réforme a minima, comme le montre l’attitude complice des GAFA : ainsi, Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook affirme aujourd’hui être en faveur de la « réforme fiscale » en cours à l’OCDE même si cela doit conduire son groupe à « payer plus d’impôts » [1].

On nous annonce triomphalement que cette réforme fiscale générerait 100 milliards de dollars de recettes par an, soit 4% de recettes supplémentaires d’impôt sur les bénéfices au niveau mondial. Cette somme, qui devra être confirmée par les faits, reste plutôt faible : on estime que l’optimisation fiscale agressive des multinationales fait perdre 14 milliards d’euros par an uniquement en France [2]. De plus, les négociations à l’OCDE prévoient de fixer un niveau minimum d’imposition sur les sociétés (IS) à 12,5%. Celui-ci est censé réduire la concurrence fiscale entre les États et les stratégies de transfert de bénéfices des multinationales vers des pays à faible fiscalité. Or, ces 12,5% représentent un taux extrêmement faible : c’est le taux d’IS pratiqué en Irlande, le plus bas de l’Union européenne, ce qui permet à ce pays d’attirer Google, Facebook et Amazon ! On mesure ainsi à quel point la réforme envisagée par l’OCDE est minimaliste et on comprend mieux pourquoi Facebook et les autres géants du numérique s’en accommoderaient.

Cela confirme les craintes exprimées dès le départ par les associations luttant contre l’évasion fiscale : la réforme portée par l’OCDE (qui est, rappelons-le, un club de pays développés) ne règlerait pas le problème de l’évasion fiscale pratiquée de façon systémique par les multinationales et serait surtout favorable aux pays riches [3]

Alors que les négociations à l’OCDE risquent de ressembler à une montagne qui accouche d’une souris, les mesures unilatérales de taxation des GAFA prennent l’eau. « Nous n’abandonnerons jamais, jamais, jamais » la taxe GAFA déclarait Bruno Le Maire le 2 décembre 2019 [4]. Et pourtant, quelques semaines plus tard, le 21 janvier 2020, le ministre de l’Économie et des Finances en annonçait la suspension [5].

À travers cette taxe GAFA, plutôt que de chercher à ce que ces entreprises payent leur juste part d’impôts, le gouvernement rajoutait une taxe spécifique, avec une assiette inédite. En effet, l’impôt sur les sociétés est calculé sur le résultat de l’entreprise. Si l’entreprise fait des bénéfices, elle paye cet l’impôt ; si l’entreprise perd de l’argent, elle n’en paye pas. La taxe GAFA, elle, est calculée sur le chiffre d’affaires (CA) relatif aux activités numériques. Or, comme Attac l’avait montré [6], ces multinationales pratiquent l’évasion fiscale sur l’ensemble de leurs activités, et pas seulement sur la partie numérique. Les ventes de smartphones par exemple représentent la moitié du CA d’Apple [7]. En outre, si les GAFAM payent si peu d’impôts, c’est précisément parce qu’elles ne déclarent pas leurs activités sur le territoire français [8] ; en effet, selon les estimations d’Attac [9], les GAFAM dissimulent 74% de leur CA aux autorités fiscales et les filiales qui facturent des prestations aux clients français n’ont souvent aucune présence sur le territoire national. Cette taxe ne les affectait donc que très modérément : selon les estimations d’Attac, une taxe sur les GAFAM aurait permis de récolter un total de 162 millions d’euros sur ces 5 multinationales, alors que, si elles payaient leur juste part d’impôts, elles auraient dû payer 623 millions d’euros d’impôts sur les sociétés, soit 4 fois plus !

Plus grave, cette taxe constituait un véritable recul politique, puisque le gouvernement légitimait l’évasion fiscale systémique mise en place par les entreprises du numérique. On a pu assister à une pièce de théâtre où le gouvernement feignait de s’attaquer à l’évasion fiscale et les GAFAM faisaient mine d’être affectées. Le summum de cette mascarade a été atteint l’été dernier, quand Amazon a utilisé le prétexte de la taxe GAFA pour augmenter ses commissions de 3%, répercutant ainsi la taxe sur ses clients.

La fin annoncée de la taxe GAFA n’en est donc que plus désolante : elle ne coïncide pas avec son remplacement par un système de taxation mondial ambitieux, comme promis maintes fois, et est surtout le signe du manque de volonté d’un gouvernement qui a cédé face aux pressions américaines. Les États-Unis ont notamment menacé de taxer les importations de vins français si la taxe GAFA n’était pas abandonnée.

Il ne faut pas oublier que les GAFAM font de l’évasion fiscale un avantage concurrentiel [10] et que leur poids dans l’économie et dans la haute administration américaine est énorme [11]. Les 5 multinationales figurent parmi les plus grosses capitalisations boursières [12], et dépensent des sommes colossales en actions de lobbying. Leur emprise sur le pouvoir politique états-unien est donc très forte. 

Le Royaume-Uni a annoncé également renoncer à collecter une taxe similaire cette année. Les menaces américaines de taxer les voitures allemandes ou le parmesan italien visent également à les dissuader d’adopter une taxe similaire.

En résumé : un projet de taxation des GAFA abandonné à l’échelle européenne, des taxes GAFA nationales suspendues et, « en même temps », des négociations manquant d’ambition à l’OCDE. Il est pourtant urgent, dans un souci de justice fiscale, que les plus grandes entreprises ne puissent plus continuer à échapper aussi massivement à l’impôt.

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