Luttes pour la liberté d’informer : entretien croisé avec Antoine Chuzeville (SNJ) et Emmanuel Vire (SNJ-CGT)

mercredi 27 mars 2024, par Marie Beyer

Entretien avec Antoine Chuzeville du SNJ et Emmanuel Vire du SNJ-CGT sur les luttes dans les rédactions pour la liberté d’informer.

Ce texte est tiré du dernier numéro de notre trimestriel, Lignes d’Attac (janvier 2024), disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Quelles menaces pèsent sur la liberté d’informer en France ?

AC : L’immense faiblesse économique de la presse et la précarité des journalistes pèsent lourdement sur la qualité de l’information que l’on peut offrir aux citoyens. Les conditions de travail dégradées, allant de pair avec une pression financière et sociale très forte sont autant de frein à l’exercice serein du métier de journaliste. C’est aussi du temps et de l’énergie perdus pour défendre des emplois, des salaires décents et l’existence même de certains titres, qui n’est pas mis à profit de l’information.
 
EV : La précarisation de la profession se voit notamment en observant les chiffres : le nombre de journalistes est passé de 40 000 il y a dix ans à 35 000 aujourd’hui, avec une stagnation des salaires et une précarisation des statuts. 30 % de journalistes exercent à la pige, en CDD ou au chômage partiel. Cette précarisation a pour corollaire une concentration sans précédent des médias aux mains d’une dizaine de milliardaires. Il y a une contradiction profonde à restreindre les moyens alloués à la production de l’information et aux journalistes professionnels au sein même de grands groupes qui sont dotés de moyens inédits.
 
AC : Un autre indicateur du malaise de la profession est la baisse des exigences de la commission de la carte de presse qui a diminué le seuil minimum de revenus à 600 euros par mois. Par ailleurs, si jeunes journalistes étaient majoritairement en CDI il y a une vingtaine d’années, aujourd’hui c’est très minoritaire en début de carrière.
 
EV : On a l’impression que les journalistes sont pris dans un double étau avec d’une part la pression économique (notamment liée à la concentration des médias) et d’autre part, une pression de l’État. En effet, nous sommes considérablement entravés dans notre métier que ce soit par le biais de convocations à la DGSI, de lois contraignantes comme le secret des affaires ou à cause de l’atteinte à la protection de nos sources. Nous sommes parfois même convoqués en gardes à vues comme Ariane Lavrilleux du site Discole qui a été accusée de compromission de secret-défense en septembre.
 
Quelles sont les luttes menées dans les rédactions ?
 
AC : Beaucoup de luttes visent des conditions de travail décentes. Les stations régionales de France 3 sont par exemple mobilisées contre la stratégie éditoriale avancée en septembre dernier avec des injonctions contradictoires sur le travail des rédactions. Même dans les grands médias, il y a un malaise parce que les directions naviguent à vue et n’ont pas de projet ambitieux et fédérateur. Il y a aussi un problème de dialogue social car les entreprises de presse en général écoutent très peu ce que les représentants du personnel ont à dire.
 
EV : Dès que l’on touche à l’indépendance des rédactions, les journalistes sont prêts à s’engager et très fortement. On l’a vu cet été au JDD où la rédaction a mené 42 jours de grève pour s’opposer à la transformation du magazine en un hebdomadaire d’extrême droite. S’ils ont obtenu des indemnités individuelles, le renvoi du directeur imposé par l’actionnaire Bolloré n’a pas eu lieu et ce fut de même pour iTélé transformé en CNews ou à Europe 1 en 2021. Tous les syndicats font front pour demander le droit d’agrément des journalistes pour accepter ou non un nouveau directeur de la publication.
 
AC  : Il y a aussi des luttes pour la survie même de titres menacés de disparition. Le Quotidien de la Réunion vient d’être sauvé in-extrémis par une subvention des collectivités locales et des titres comme le Progrès, la Provence ou Vaucluse Matin, bien qu’étant des références dans leur région et faisant partie de grands groupes, sont au bord du précipice avec des diminution d’effectifs et des baisses d’investissements. La disparition du maillage de la presse locale a des conséquences graves sur la diversité de l’information mais aussi sur la vie citoyenne et sociale.
 
Quelles sont les revendications du secteur ?
 
EV : Nous demandons à l’État de garantir la protection des sources et de limiter les entraves au travail journalistique. Nous avons lutté contre la proposition de loi sécurité globale et obtenu l’annulation d’une partie du nouveau schéma national de maintien de l’ordre devant le conseil d’État. Il faut aussi revoir la loi anti-concentration de 1986 et les aides à la presse (1,4 milliard d’euros par an) en les conditionnant à des bonnes pratiques sociales et à l’indépendance du journalisme.
 
AC  : Il faut reconstruire à la base en partant de ceux qui produisent l’information : les rédactions et les journalistes. On voit de jeunes journalistes, souvent très bien formés, quitter la profession parce qu’ils ne font pas ce qu’ils aiment et ne peuvent pas en vivre. Quand une profession n’arrive plus à se renouveler, c’est un signal très inquiétant. Par ailleurs, la confiance que les citoyens portent aux médias s’effrite avec le sentiment que l’information n’appartient qu’à très peu de monde et que la qualité et la diversité d’opinion ne sont pas toujours au rendez-vous. Il y a urgence !

Propos recueillis par Marie Beyer, journaliste.

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