Forum social mondial 2016 à Montréal : Défis et opportunités du premier FSM au Nord

mardi 31 mai 2016, par Carminda Mac Lorin, Raphaël Canet

Pour la première fois de son histoire, ce grand rassemblement de la société civile mondiale visant à trouver des solutions aux problèmes de notre temps sera organisé dans un pays du Nord. Cela soulève de nombreux défis, mais offre aussi de grandes opportunités pour les mouvements sociaux et citoyens du Québec. Nous abordons ici ces différents enjeux à partir de trois questions.

1. Pourquoi tenir un FSM au Nord ?

Depuis son apparition en 2001, le FSM s’est toujours tenu dans un pays du Sud (Brésil, Inde, Venezuela, Mali, Pakistan, Kenya, Sénégal, Tunisie). La symbolique visait à opposer le Nord, où se concentre le pouvoir politique et économique mondial, au Sud, où se rassemble la majorité de la population qui vit sous le joug des puissances du Nord. Puisque le Forum économique mondial se tient chaque année à Davos (Suisse), symbole du paradis bancaire, alors le Forum social mondial devait se tenir au Sud, en commençant par Porto Alegre (Brésil), symbole de la démocratie participative. En opposant ainsi symboliquement la participation populaire des masses du Sud au pouvoir de l’argent de l’élite du Nord, on souhaitait illustrer la fracture du monde engendrée par la mondialisation néolibérale.

Or, le monde a évolué depuis 2001. Certes, fondamentalement la dynamique n’a pas changé et les inégalités sociales continuent de se creuser. Cependant, les crises qui se multiplient ébranlent l’ordre actuel. Alors que le modèle de la civilisation occidentale, industrialiste, individualiste et consumériste atteint ses limites sociales et écologiques, de nouveaux mondes émergents en Asie, en Amérique latine, avides de prendre enfin leur place.

Aujourd’hui, la distinction Nord/Sud ne fait plus sens. Il y a désormais du Nord au Sud et du Sud au Nord. La ligne de fracture majeure n’oppose plus des pays de part et d’autre de l’équateur, mais parcourt l’ensemble des sociétés, opposant des élites qui monopolisent richesses et pouvoirs, aux masses de gens qui survivent dans un monde sur lequel ils n’ont plus vraiment de prise. La démocratie a cédé la place à une oligarchie mondiale qui impose ses règles partout. La chose est devenue évidente depuis la crise de 2008, ce qui a provoqué une vague de mobilisations qui, depuis 2011, se répand aux quatre coins du monde (Printemps arabe, Indignés espagnols, manifestants grecs, mouvance Occupy de New- York, Tel-Aviv, Berlin, Rio, Montréal, Istanbul, Sarajevo, Hong Kong…). Les peuples bougent, manifestent, s’indignent et s’insurgent partout.

Il importe désormais de faire le lien entre toutes ces formes d’indignation, de faire converger l’ensemble de ces aspirations au changement. Nous pensons que le Forum social mondial, en tant qu’espace de rassemblement de toutes les forces progressistes qui souhaitent concrétiser ces autres mondes nécessaires en émergence, peut favoriser cette convergence.

Nous pensons qu’il est désormais temps que les peuples du Nord sortent de leur apathie et rejoignent le combat des peuples du Sud pour construire un monde différent. Car tel est l’un des buts du FSM : stimuler les luttes locales et renforcer la convergence des organisations de la société civile locale et globale pour insuffler un réel processus de transformation. Depuis sa création, le FSM s’est majoritairement tenu en Amérique latine, et cela a coïncidé avec la vague d’élections de gouvernements de gauche dans cette région du monde. Il ne faut pas voir là un lien de cause à effet. Cependant, cela témoigne de la grande vitalité des mouvements sociaux et des organisations de la société civile du Sud de notre continent, et surtout de leur capacité réelle à influencer le jeu politique et, finalement, les choix de société qui sont mis de l’avant.

Au regard des gouvernements conservateurs et néolibéraux qui se multiplient en Europe et en Amérique du Nord, il est clair que la dynamique est totalement différente. Ce qui nous amène à penser que sur le plan du progressisme, ainsi que de la force politique des mouvements sociaux et de la vitalité de notre société civile, nous sommes dramatiquement sous-développés. En somme, pour changer le monde, les mouvements sociaux du Nord ont aujourd’hui besoin de la force de ceux du Sud.

Un peu comme les printemps arabes ont précipité les mouvements d’indignation et d’occupation en Europe et en Amérique du Nord, il est aujourd’hui temps que le Nord reçoive le FSM pour profiter à son tour de son énergie transformatrice. Nous avons besoin d’un évènement de grande envergure pour provoquer le changement, pour que la volonté d’en finir avec l’oligarchie et le néoconservatisme prennent le dessus. Nous sommes convaincus que c’est au cœur de l’empire qu’il faut désormais organiser un FSM et le faire dans un esprit de convergence et de complémentarité avec l’ensemble des initiatives progressistes qui émergent partout sur la planète. Imaginons quelques instants dans quel monde nous vivrions si des gouvernements progressistes à l’écoute des mouvements sociaux et citoyens étaient aux commandes de la majorité des pays du G8 ?

2. Pourquoi avoir choisi Montréal ?

En décembre 2013, lorsque nous avons soutenu la candidature de Montréal devant le Conseil international du FSM, le Québec est apparu comme l’endroit idéal pour tenir la première édition nordiste du FSM pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’immense vitalité des mouvements sociaux que révélait le printemps érable de l’hiver 2012 a convaincu. Les images de la jeunesse bravant durant des mois l’autorité d’un gouvernement totalement hermétique aux demandes sociales a donné de l’espoir à nombre d’activistes à travers la planète (et surtout dans les pays dits développés), qui se sont dit, au Nord aussi c’est possible de se mobiliser et de remporter des victoires. Non la jeunesse n’est pas apathique, et elle peut même être une véritable force de changement. Oui, il y a un avenir pour les mouvements sociaux. D’ailleurs, depuis les grèves étudiantes de 2012 au Québec, les luttes se poursuivent de manière ininterrompue. Mentionnons les mobilisations contre les politiques d’austérité, l’action des mouvements environnementaux et la mobilisation du mouvement syndical dans le cadre des négociations du secteur public.

L’autre élément important, c’est l’enracinement de l’altermondialisme et des forums sociaux au Québec. Depuis 2001, plusieurs centaines de Québécois-e-s ont participé aux différentes éditions du FSM partout sur la planète. Nous avons aussi déjà organisé deux forums sociaux québécois (2007 et 2009) qui ont rassemblé plusieurs milliers de personnes. Il existe par ailleurs une dynamique régionale des forums sociaux au Québec, puisque des forums sociaux locaux se sont tenus à Québec-Chaudière Appalaches, au Saguenay-Lac St-Jean, en Mauricie, en Outaouais, à Laval, dans Lanaudière, Montréal Nord, Anjou, au Bas-St-Laurent… Finalement, l’organisation du premier Forum social canadien (le Forum social des peuples à Ottawa en août 2014) a témoigné d’un nouveau déploiement de la mouvance altermondialiste au Canada. Ce forum a permis d’élargir la dynamique des forums sociaux à l’ensemble canadien et auprès des peuples autochtones. Nous disposons ainsi, au Québec et au Canada, des connaissances, des réseaux et de l’expertise nécessaires pour accueillir à notre tour le FSM. 

3. Que pouvons-nous apporter de plus au mouvement altermondialiste en organisant le FSM chez nous ?

Le prochain FSM devra bâtir sur les acquis des Forums précédents : il sera à la fois un amplificateur des luttes locales, un espace de dialogue et de convergences des mouvements locaux et globaux et un moment de construction d’une compréhension commune des enjeux, esquissant des pistes d’action à tous les niveaux. Mais il devra aussi relever de nouveaux défis afin de dynamiser les luttes sociales au Nord et ailleurs, notamment en faisant la jonction entre les mouvements récents d’indignation et d’occupation (Printemps arabes, Printemps québécois, Occupy, Indignés, Idle No More…) et la mouvance altermondialiste qui se rassemble au FSM. Le FSM de 2016 doit faire la jonction avec les nouvelles pratiques de contestation sociale qui émergent depuis 2011. Il faut que ces multiples espaces de mobilisation sociale et politique dialoguent et se renforcent les uns les autres. Le FSM 2016 doit permettre de rapprocher les mouvements sociaux traditionnels (syndicats, ONG, groupes communautaires…) avec les nouvelles générations de militants, plus fugaces et spontanés, qui émergent actuellement. Ce pari du renouvellement des pratiques sociales de contestation et de mobilisation, nous entendons le relever grâce à la méthodologie que nous déployons tout au long du processus organisationnel du FSM 2016.

En effet, nous concevons le FSM 2016 comme un processus collectif et humain qui repose sur 5 grandes valeurs : l’inclusion et l’ouverture, la transparence, l’horizontalité, l’autogestion et l’indépendance. Il s’adresse à tous les citoyen-ne-s et organismes militants qui souhaitent s’y impliquer. Il entend, favoriser la convergence entre organisations et l’engagement militant personnel durant tout le processus organisationnel et pas uniquement lors de l’évènement, comme ce fut trop souvent le cas dans les FSM précédents. Concrètement, tout cela se réalise à travers l’implication des organisations et des personnes dans les 6 groupes de travail du Collectif FSM 2016, ainsi que dans les comités autogérés qui prennent en charge l’animation de thématiques spécifiques au sein du FSM 2016. À ce jour, plus de quinze comités autogérés sont en fonctionnement. Par ailleurs, le Forum pourra s’affirmer en tant qu’espace décentralisé et mondial, en utilisant le potentiel d’Internet pour favoriser la tenue d’activités à distance, mais en relation avec le FSM 2016.

Concrètement, le Forum social mondial dispose de trois qualités fondamentales. Tout d’abord, en tant que moment d’échange entre militants, activistes et citoyen-ne-s du monde entier, il permet de passer de la réflexion à l’action et, en ce sens, suscite une large prise de conscience des enjeux et des luttes en cours. Ensuite, en permettant aux activistes de se rencontrer, de se connaître et de se relier entre eux, le FSM constitue un formidable outil de réseautage, du niveau local à l’échelle globale. Finalement, comme espace de convergence entre organisations et mouvements autour de campagnes, d’actions et d’initiatives communes, le FSM nous rend plus fort et donne de la visibilité à toutes les luttes spécifiques.

Le FSM 2016 se tiendra au Canada dans un nouveau contexte politique. En effet, lors des élections d’octobre 2015, la population canadienne a chassé le gouvernement conservateur qui, depuis 10 ans, menait une politique économique ultralibérale appuyée sur un extractivisme prédateur et un fort conservatisme social. La lutte contre les sables bitumineux et les oléoducs au Canada, la mobilisation des peuples autochtones pour leurs droits, la force des mouvements sociaux contre les politiques d’austérité et le néolibéralisme, ont contribué à ce changement politique.

Il importe aujourd’hui de saisir l’opportunité de la tenue du FSM 2016 à Montréal pour dynamiser encore davantage les luttes et profiter de cet élan de solidarité internationale pour élargir nos bases militantes et promouvoir des actions concrètes. C’est le moment de partager avec la société civile mondiale et les mouvements sociaux d’ailleurs, nos luttes, mais aussi nos victoires, de manière à mutualiser nos expériences militantes, sortir de notre isolement et nous renforcer les uns les autres. Dans la construction de ces autres mondes en gestation, il importe d’apporter notre contribution. Parce que d’autres mondes sont nécessaires, et ce n’est qu’ensemble que nous les rendrons possibles.

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