Fiche : La politique migratoire européenne

vendredi 10 mai 2019, par Attac France

À l’approche des élections européennes, Attac vous propose ce décryptage de la politique migratoire européenne.

Les différents traités définissant le fonctionnement de l’Union, prévoient la libre circulation des personnes et des biens.

Il est clair que la libre circulation des personnes est mise en place avant tout pour permettre un fonctionnement optimal du grand marché unique (voir fiche sur le commerce). Il s’agit d’abord de permettre la circulation de la main d’œuvre. Les frontières intérieures ont donc été supprimées. Il est possible de voyager de Brest à Tallinn sans traverser de postes frontières…

Cette possibilité est offerte à toute personne circulant en situation régulière (sauf les personnes en attente de réponse de leur demande de titre de séjour). Cependant nous avons pu voir récemment que les frontières entre les états de l’Union pouvaient se rétablir rapidement (entre la France et l’Italie par exemple). Mais, si la libre circulation des personnes est garantie, elle n’est pas sans poser un certain nombre de questions.

Les migrations au sein de l’Union

Le principal flux migratoire que nous pouvons observer au sein de l’Union, est interne à l’UE. Il concerne essentiellement et massivement une migration Est –> Ouest. L’existence de ce flux migratoire, énorme, confirme que la liberté de circulation des individus est d’abord une circulation de main d’œuvre. Les pays des Balkans, ceux de l’Est européen, mais aussi la Hongrie et l’est de l’Allemagne perdent de nombreux (ses) travailleurs et travailleuses. Toutes et tous sont attiré-e-s par l’Allemagne (de l’ouest) d’abord, mais aussi la Scandinavie, le Royaume Uni et dans une moindre mesure la France et le Benelux.

Les causes de ces migrations internes sont principalement liées d’une part, au développement de l’agriculture intensive à l’Ouest. Cette agriculture inonde les pays de l’Est européen, détruisant ainsi les tissus agricoles locaux. Les paysans concernés n’ont d’autre solution que l’émigration. D’autre part, les produits industriels importés massivement détruisent le tissu industriel des pays de l’Est beaucoup plus fragile. Comme les agriculteurs, les ouvriers n’ont d’autre solution que l’émigration vers les pays de l’ouest européen.

Ces migrations Est –> Ouest s’accompagnent la plupart du temps (et mécaniquement) d’une baisse importante de la natalité, donc d’un vieillissement de la population. Le Monde Diplomatique de juin 2018 (dans un très bon dossier sur les bouleversements démographique en Europe) évoque la perte de millions de personnes dans ces pays de l’Est. La Croatie pourrait perdre 25 % de sa population ! Tout comme la Lettonie ou la Bulgarie, la Bosnie et la Lituanie (-20%), la Moldavie (-17%) ou la Roumanie (-14%) !
 Cette dépopulation entraîne un flux d’immigration dans les pays d’Europe centrale, notamment en provenance d’Ukraine. Ainsi la Pologne qui s’est opposée à accueillir des réfugiés dans le cadre de la politique des quotas proposée par l’UE reçoit proportionnellement plus de migrants que l’Allemagne.

L’addition de ces deux phénomènes, produit des effets catastrophiques sur le plan économique, social et bien sûr politique. La montée des mouvements xénophobes est une des conséquences.

L’Espace Schengen

L’Espace Schengen est le territoire défini par les accords et leur convention d’application signés à Schengen en 1995. L’accord, la convention d’application, et les réglementations qui en découlent ont été introduits dans le droit européen par le traité d’Amsterdam signé en 1997 et entré en application en 1999. Signés en 1985 et en 1990, les accords de Schengen autorisent la libre circulation des personnes et harmonisent les contrôles des voyageurs au sein de l’espace constitué par ces États. Cet espace comprend les pays de l’Union, moins la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Irlande, la Roumanie et le Royaume Uni. Il faut ajouter des pays hors UE : l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse. Et il ne faut pas oublier bien entendu les micro-états que sont le Vatican, Monaco et Saint Marin.

Depuis l’intégration de l’Acquis de Schengen dans le droit communautaire en 1997, la coopération Schengen rejoint le cadre juridique et institutionnel de l’UE. A chaque mesure prise en application de la Convention de Schengen correspond une base juridique dans les traités européens. Dans ce domaine, la Commission européenne a le pouvoir d’initiative, le Conseil des ministres décide à la majorité qualifiée et la procédure d’adoption des actes en matière de visa, asile et immigration est la procédure législative ordinaire.

Les accords de Schengen ont été la cible des réactions xénophobes de nombreux pays membres suite à la crise de 2015 sur l’accueil des réfugiés. Déjà en 2013 », ces accords avaient été renégociés pour permettre aux États de rétablir temporairement des contrôles aux frontières nationales en cas de « menace pour l’ordre public et la sécurité », en fait essentiellement pour interpeller des personnes migrantes. En 2015 plusieurs pays ont rétabli ces contrôles pour fermer leurs frontières aux réfugiés. La France n’est pas en reste puisqu’elle a militarisé sa frontière avec l’Italie pour refouler des migrants au mépris du respect de leurs droits fondamentaux : renvois sans respect des procédures légales, refoulement de mineurs isolés ou de demandeurs d’asile.

L’Agence Frontex a été créée en 2004 pour aider les États membres de l’Union européenne et de l’espace Schengen à sécuriser leurs frontières extérieures. Le budget et les moyens de cette agence ont été considérablement augmentés, et l’Union européenne a donné une priorité absolue à la lutte contre l’immigration « illégale ». Les migrants, toutes catégories confondues, sont considérés comme la source de risques, ce qui a justifié une politique de fermeture des frontières externes. Les modes de déplacement normaux ont été réduits par une politique restrictive de visas, contraignant les migrants à recourir à des voies de passages périlleuses, comme le montrent les plus 10 000 morts en Méditerranée depuis 2014. Cette politique livre les migrants aux passeurs, aux trafiquants et aux mafias.

L’Union européenne, sous l’impulsion de pays membres, a cherché à empêcher les migrants de venir en Europe en externalisant sa politique de contrôle aux frontières. L’accord UE-Turquie (2015) qui rémunère la Turquie pour retenir les migrants dans des camps et pour « réadmettre » sur son territoire les migrants dits illégaux expulsés des pays européens, a préfiguré une série d’ »accords » avec des pays africains (Niger, Maroc, Libye,...). Ceux-ci en contrepartie de financements retiennent les migrants dans des camps dans des conditions indignes.

Le plus grand scandale a été l’accord passé avec les mafias libyennes pour que les garde côtes empêchent les sorties et pour enfermer les migrants dans des camps où ils sont livrés à l’esclavagisme et à la torture. D’une façon générale, l’enfermement des étrangers est devenu un élément essentiel de cette politique migratoire, qu’il s’agisse des « hotspots » en Grèce ou en Italie où ils sont détenus de façon arbitraire pendant des mois, ou de la politique des camps de rétention comme en France où des étrangers, voire des mineurs, sont illégalement privés de liberté.

Les migrations vers l’UE

Un·e migrant·e est une personne qui quitte le pays où elle est née pour aller vivre temporairement ou peut-être définitivement dans un autre pays. Cette migration peut avoir des causes différentes :

  • Des personnes migrent pour des raisons économiques, parce qu’il n’est plus possible de vivre décemment dans leur pays d’origine.
  • D’autres migrent pour des raisons politiques, parce que la guerre et/ou le régime en place chez elles leur rend la vie impossible.
  • Enfin, certaines personnes migrent parce qu’elles veulent découvrir et vivre dans d’autres pays, d’autres régions. Cette dernière catégorie de migrant·e·s ne représente qu’un nombre infime de personnes.

En règle générale, lorsqu’une personne souhaite migrer pour une raison économique ou de découverte, elle dépose une demande de séjour au préalable. Si cette demande est acceptée, la migration se passe sans difficulté. Si la demande est refusée et que la personne souhaite quand même migrer, elle rejoint alors le flux des réfugié·e·s, qui n’ont pas déposé de demande préalable.
Toutefois cette distinction entre « migrants économiques » qui auraient quitté leur pays par choix et les « bons réfugiés » contraints à l’exil par la guerre ou l’oppression politique sont discutables et faites surtout à des fins de tri par les pays d’arrivée pour légitimer le choix des personnes qu’ils accepteront ou rejetterons.

Nombre de migrant·e·s

Actuellement, le nombre total des migrant·e·s vers l’Europe est en forte diminution. Cette diminution fait suite à une très forte augmentation, notamment en 2015. Jusqu’en 2014, les entrées étaient limitées à environ 210 000 personnes par an. En 2015, ce sont 1 016 000 personnes qui sont entrées dans l’espace Schengen. En 2016 ces chiffres sont retombés à 363 000, à 172 000 en 2017 et 139 000 personnes en 2018 (source HCR). De son côté Eurostat annonce 649 855 dépôts de demande d’asile en 2017 (64 % de ces demandes sont déposées en Allemagne, Italie et France). Des chiffres très objectifs sont difficiles à obtenir. En effet, il y a souvent un mélange entre les arrivées clandestines (qui sont forcément estimées), les demandes d’asile, les autorisations de séjour délivrées, les étrangers vivant dans l’UE... Ces chiffres des entrants dans l’Espace Schengen sont à comparer aux presque 500 millions de personnes y habitant !

D’où viennent ces migrant·e·s ? Quelles sont les routes empruntées ?

Les migrations actuelles utilisent trois routes principales :

  • La route orientale qui permet le passage de la Turquie vers la Grèce
  • La route centrale de la Tunisie et la Libye vers l’Italie
  • La route occidentale depuis le Maroc vers l’Espagne.

La forte hausse des migrations de 2015 est essentiellement liée à la guerre de Syrie. C’est donc une majorité de syrien·ne·s et d’irakien·ne·s qui a fui par cette première route. Les deux autres routes concernent principalement des personnes originaires du sud-Sahara, du Soudan, d’Erythrée, d’Afghanistan.... La route la plus utilisée a d’abord été la route centrale. Depuis quelques temps (2018), c’est la route occidentale qui est la plus développée. Le changement de route utilisée pour les migrations est principalement lié à une plus grande étanchéité des frontières (turco-grecque dès 2016, et de l’Italie en 2018 avec le durcissement de la politique italienne.

Les législations en cours

Selon les règles européennes, lorsqu’un·e migrant·e arrive sur le territoire d’un État-membre de l’Espace Schengen, il doit faire une demande d’autorisation de séjour. Comme nous l’avons vu plus haut, ces demandes sont presque exclusivement des demandes d’asile. Dans cette demande il-elle doit expliquer les raisons qui l’ont forcé à quitter son pays ainsi que les risque qu’il-elle encourt à y retourner. Une commission statue ensuite pour accorder, ou non, ce droit d’asile.

Dès qu’une personne étrangère touche le sol d’un pays de l’Espace Schengen, elle doit déposer cette demande. Le dépôt de la demande la met alors en situation régulière, et il n’est plus possible de l’expulser. Mais elle doit déposer sa demande dans le premier pays par lequel elle est arrivée (règlement dit de Dublin), et elle ne doit pas quitter ce pays tant qu’elle n’a pas eu de réponse à sa demande. Si sa demande est acceptée, elle accède au statut de réfugiée. Elle dispose alors de la liberté de circulation prévue dans les accords de Schengen. Toutefois, elle n’accède pas automatiquement au droit de travail et d’installation dans tous les pays de l’Espace Schengen. Cette autorisation dépend de la législation propre à chaque état membre.

Si la personne est déboutée du droit d’asile, elle est peut être expulsée soit vers son pays d’origine si sa vie et sa liberté ne sont pas menacées, soit vers le pays par lequel elle est entrée dans l’UE. Cette dernière règle (dite de Dublin) a permis à de nombreux États, dont la France, de reporter sur la Grèce et l’Italie, par ailleurs victimes des politiques européennes d’austérité, le poids des arrivées de réfugiés.

Le droit d’asile se réduit comme peau de chagrin. En verrouillant l’accès des migrants à leur territoire, les pays européens leur interdisent du même coup le droit d’asile en violation de la convention de Genève sur les réfugiés. Par ailleurs, en systématisant des notions comme pays d’origine sûr », ou « pays tiers sûr », les États cherchent à faciliter les expulsions. Un grand nombre de déboutés du droit d’asile ne sont pas expulsés et deviennent des migrants « en situation irrégulière ».

Cette réglementation restrictive en ce qui concerne la liberté d’installation, produit deux effets :
Dans le cas de migrant·e·s économiques, il n’y a pas de dépôt de demande d’asile. Les personnes sont alors en situation irrégulière, ce qui constitue une main d’œuvre très bon marché. Selon les droits nationaux, des possibilités de régularisation existent. C’est le cas en France par exemple depuis la circulaire Valls du 28 novembre 2012 où il est possible d’être régularisé au bout de 3 ans de travail, ou 5 ans de présence et scolarisation des enfants depuis 3 ans. Comme les possibilités de régularisation sont faibles dans le pays d’arrivée, les arrivant-e-s vont plutôt poursuivre leur route vers les pays réputés avec un « meilleur » marché de l’emploi. Il y a donc une migration intra-européenne de ces personnes afin de tenter leur chance dans les pays scandinaves ou au Royaume Uni… Les mesures prévues pour « accueillir » dans l’UE les migrant-e-s sont définies par le règlement du Parlement européen et du Conseil européen du 26 juin 2013. C’est la traduction dans les textes des accords dits "Dublin III".


La révision du règlement de Dublin souhaité par la Commission achoppe sur les profondes divergences entre les États membres sur la politique d’accueil. 
Ce désaccord entre les États est parfaitement illustré par les échanges vifs entre Macron et Salvini, le premier reprochant au second sa politique de fermeture des frontières et de ne pas respecter le droit du sauvetage en mer, tandis que le second reproche au premier d’être hypocrite puisque la France a été un des pays européens les moins ouverts aux migrants lors de la vague de réfugiés et a laissé l’Italie se débrouiller avec, y compris avec le sauvetage en mer.

Chacun pour soi

En 2015, la Commission européenne a cherché à répartir les flux de réfugiés en imposant un plan d’accueil par quotas en fonction du PIB de chaque pays. Les pays d’Europe centrale (groupe de Visegrad) l’ont refusé. L’Allemagne était demandeuse, mais un pays comme la France, qui a accueilli un faible nombre de réfugiés, poussait mollement. Si on ajoute le fait d’avoir laissé à la Grèce et à l’Italie la charge de cet accueil, l’Union européenne a montré, comme dans le champ des politiques économiques, que l’égoïsme des intérêts l’emportait sur l’esprit de coopération. Le spectacle le plus pitoyable a été offert par les pays européens quand ils se sont déchirés pour savoir qui pouvait accueillir quelques dizaines de réfugiés de l’Aquarius. Sentant le risque d’une désintégration de l’UE sur ce sujet hautement symbolique, l’Allemagne et la France ont convoqué en 2018 une conférence pour organiser la « solidarité ». Devant l’opposition du groupe de Visegrad, ils ont proposé une « solidarité indirecte » par une participation au financement pour les pays qui ne font pas d’accueil. Cette proposition n’a pas rencontré d’assentiment. On parle aujourd’hui de « solidarité différenciée » qui regrouperait les pays qui le veulent. Mais cette voie conduit à une UE à plusieurs vitesses. Et la plupart des gouvernements s’accommodent de fait de la pression xénophobe pour justifier leur politique de fermeture des frontières.

Le solde migratoire

Sur 512 millions d’habitants, l’Union européenne compte 22 millions de citoyens non-européens, soit environ 4% de sa population (chiffres Eurostat 2016). Un chiffre bien en deçà de la part des étrangers aux États-Unis, qui atteint environ 13%. 17 millions de personnes résidant dans un pays de l’Union européenne ont quant à elles la nationalité d’un autre État membre. Une grande partie de ces non-nationaux, soit 12 millions de personnes, réside en Allemagne, tandis que le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la France en enregistrent chacun entre 6 et 8 millions. Mais au regard de la population nationale, la proportion la plus élevée de non-nationaux se trouve au Luxembourg, avec 46% de la population totale. La plus faible se trouve en Pologne avec moins de 2% de la population étrangère. En France, le nombre d’étrangers représente 12% de la population, un chiffre situé plutôt dans la moyenne basse des pays européens. 

Chaque année, le nombre d’arrivées vers l’UE est plus important que le nombre de départs. Ainsi, en 2016, le solde migratoire, différence entre le nombre de personnes entrées et sorties au cours de l’année, a été de 1,5 million de personnes pour l’Union européenne. En conséquence, alors que l’accroissement naturel (naissance / décès) est négatif pour la deuxième année consécutive, la population de l’Union européenne a tout de même augmenté. Le solde migratoire est donc l’élément principal de la croissance démographique européenne depuis le début des années 1990. Au 1er janvier 2018, il y avait 512,6 millions d’habitants dans l’Union Européenne (à 28 pays). En un an, elle a gagné plus d’1 million d’habitants (1,1 M), soit une augmentation de 0,2 %.

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