L’ECSA : un renouveau de l’altermondialisme européen, entre continuité et envie de révolution

mercredi 29 mai 2024, par Attac France

Dans une continuité critique des Forums Sociaux Européens, mais animé par la conviction que notre quête collective de meilleures structures et politiques sociales, économiques et environnementales sont non seulement possibles, mais absolument cruciales, l’Espace Commun Européen pour les Alternatives (ECSA), qui a eu lieu à Marseille du 26 au 28 avril, a été conçu pour entamer - à l’approche des élections européennes - un nouveau chapitre de la dynamique altermondialiste au niveau continental.

La nécessité de se doter d’un espace transversal au niveau européen existe depuis des décennies, pour discuter des questions émergentes, de nos victoires comme de nos difficultés.

Mais cette nécessité est apparu encore plus cruciale ces dernières années devant des situations nouvelles, comme la crise du Covid, la guerre en Ukraine ou la possible percée de l’extrême droite. Des discussions informelles ont eu lieu pendant l’université européenne des mouvements sociaux à Monchengladbach, en Allemagne en août 2022, puis ce fût à Florence, en novembre 2022 que la décision a été prise de jetter les bases d’un réseau informel au niveau européen.

A l’origine d’ECSA nous avons eu de nombreux mouvements sociaux italiens (ARCI, COBAS, etc.) auxquels se sont joints le réseau européen des Attac, le think-tank de gauche Transform, l’ONG "Alternatives Européennes" et de nombreuses organisations et mouvements de différents pays, comme la LDH en France ou le Forum social norvégien ou d’ONGs internationales comme TNI, basée à Amsterdam. Globalement, plusieurs dizaines d’organisations se sont engagées dans l’animation d’ECSA en participant à son "Steering Committee" et, à Marseille, plus de 600 militant.e.s se sont retrouvés, venant de 24 pays européens, représentants 100 organisations qui ont proposé plus de 120 activités.

Les rencontres de Marseille ont montré la nécessité de poursuivre les discussions et surtout de vérifier l’étendue de nos convergences, sur les questions sociales, climatiques ou environnementales, contre l’extrême-droite et pour la défense des libertés et de l’État de droit, pour la défense des droits des migrants et la dénonciation de l’Europe coloniale, pour les droits des femmes et de tous les groupes sociaux discriminés...

Dimanche 28 avril dans l’après-midi, les organisations impliquées dans la vie d’ECSA ont décidé de poursuivre cette dynamique, par des envois régulier de mails et l’organisation, chaque mois, d’une réunion virtuelle sur des sujets d’actualité, en proposant à toutes les initiatives déjà prévues en Europe, de "taguer" ECSA ces initiatives, ce qui voudrait dire accentuer encore leur dimension européenne, et enfin de préparer des rencontres comme celle de Marseille tous les deux ans.

Des racines de révoltes aux bourgeons d’espoir, les luttes altermondialistes une sève intarissable ?

Au début des années 2000, les Forums Sociaux Mondiaux (FSM) et les Forums Sociaux Européens (FSE) étaient « les » rendez-vous pour celles et ceux qui aspiraient à un monde plus équitable. Ils unissaient des citoyen.nes engagé.es de tous horizons qui souhaitaient forger des alternatives aux injustices économiques, sociales et environnementales exacerbées par la globalisation néolibérale. Ces forums jouaient plusieurs rôles, ils étaient une opportunité pour le grand public de vivre une rencontre avec celles et ceux qui pensaient les alternatives systémiques et possibles au système-monde, et celles et ceux qui faisaient vivre sur le terrain des luttes pluriverselles et locales ancrées partout dans le monde. C’était aussi des espaces ou les spectateurs devenaient acteurs, et où naissaient des actions d’articulations trans-thématiques et des pratiques de solidarité entre les peuples.

Malgré ces intérêts notables, leur efficacité à influencer les politiques et réalités concrètes et à faire en sorte que les luttes convergent reste encore aujourd’hui un débat non résolu, et les défis liés à l’inclusion et à la représentativité des mouvements qui les composent continuent, au niveau mondial du moins, de susciter des interrogations profondes. Les Forums, qui ont souvent été le premier contact avec l’altermondialisme pour toute une génération d’activistes, ont donc naturellement été confrontés à des désillusions fortes, venant souvent de militant-es aguerri-es et désabusé-es, et à des critiques politiques qui ont mis fin à sa dynamique européenne. Pourtant, nous assistons aujourd’hui dans toute l’Europe (et dans le monde) à une floraison de mobilisations et d’expériences sociales diverses, passionnantes et enrichissantes. Ainsi, malgré tout et bien que prenant des formes différentes, la volonté altermondialiste semble aujourd’hui plus vivante que jamais.

Dialoguer et construire des convergences : un défi difficile, mais possible, et, surtout, nécessaire !

Dans ce Monde, où les luttent se transforment, ou une nouvelle génération d’activistes émerge, mais où, comme en écho, les voix de l’exclusion, du profit sans limite et du nationalisme gagnent en puissance mettant en danger la planète et l’humain, il nous semblait impératif de relancer et de réinventer ces espaces de dialogues et d’articulations. C’est en partant de ces constats, que Attac France et ses partenaires européens ont décidé de créer l’ECSA. Avec objectifs, donc de tenter d’apporter une réponse au vide laissé par les FSE, mais aussi aux appels pour une plus grande cohérence entre les intentions et les actions, entre les déclarations globales et les impacts locaux au niveau européen. Comment ? En continuant de mettre à disposition un espace ouvert à toutes les organisations souhaitant proposer une activité auto-organisées, mais aussi en cherchant à pousser plus loin les frontières de l’engagement des mouvements et organisations grâce à des « conteneurs » trans-thématiques, qui mettraient l’accent sur la construction de processus de convergences qui ne se bornent pas aux résolutions écrites, mais qui se manifesteraient aussi dans des actions concrètes et mesurables.

Ainsi, tout au long des activités auto-organisées, les plus de 600 participant.es se sont plongé.es au cœur de sujets ardents comme l’articulation entre justice sociale, environnementale et transitionnelle, la taxation des riches, les méfaits du libre-échange, de la dette et de l’extractivisme, la solidarité internationale, le droit au logement et à la migration, les relations post-coloniales et les ravages des politiques néolibérales et des multinationales. Les discussions ont également couvert les défis démocratiques et la montée alarmante de l’extrême droite, soulignant le rôle crucial de l’Europe dans le tissu mondial et la responsabilité qui nous incombe de renforcer notre engagement envers les autres continents. Par ailleurs, l’agglutination de certaines activités similaires avant l’événement à permis à diverses organisations de se rencontrer et d’échanger pour la première fois, favorisant ainsi de nouvelles alliances inattendues et inespérées.

Les conteneurs eux, ont, simultanément, abordé les problématiques contemporaines sous différentes perspectives en tentant de briser les cloisonnements des luttes thématiques et en encourageant la transversalité et la convergence. Dans le conteneur sur l’émancipation et la solidarité, le capitalisme et ses impacts destructeurs ont été critiqués, et la solidarité internationale et les modèles économiques alternatifs promus. Le conteneur "le pouvoir au peuple" s’est concentré sur les défis posés par la montée des gouvernements illibéraux et les politiques répressives, dont les populations marginalisées restent les premières victimes, tout en encourageant l’organisation contre la répression de façon collective. Le conteneur sur "la lutte et la victoire collective" a exploré les stratégies pour unir les divers mouvements contre l’oppression et la fragmentation sociale, en soulignant l’importance de la joie militante et de la collaboration transfrontalière et des alliances stratégiques pour influencer le changement à l’échelle européenne. Finalement, dans le conteneur “Pas de planète B” il a été dénoncé l’importance et l’hypocrisie des dépenses mondiales consacrées aux budgets militaires qui contrastent avec l’insuffisance des fonds alloués à la transition climatique, tout en soulignant l’urgence d’agir et de défendre ensemble des politiques sociales et soutenables qui respectent les limites écologiques de notre planète.

Les outils et l’espace permanent pour connecter et travailler en commun sur ces enjeux restent à construire bien que la volonté et la nécessité de faire ensemble a été particulièrement manifeste dans toutes les discussions. Un effort a toutefois été fait pour synchroniser nos calendriers d’initiatives dès le début de l’événement grâce à la mise en place d’un agenda participatif ouvert. Rempli au fur à mesure des 3 jours, il s’est avéré être un moyen d’échanges particulièrement appréciés pour mieux visualiser les possibles articulations entre les diverses mobilisations à venir. Vous pourrez très bientôt le retrouver sur le site de l’ECSA : https://spaceforalternatives.eu/

Une Assemblée Finale pour tisser des accords, dénouer les dissensions, et peindre les possibles

Lors de l’Assemblée du dernier jour, dans un esprit de processus inclusif, plutôt que de conclure avec une déclaration figée, nous avons opté pour une démarche dynamique et participative. Les participant.es ont été encouragé.es à poursuivre les échanges en sous-groupes, afin de démêler les complexités des thèmes abordés et d’enrichir notre compréhension collective des apports de l’événement. Les accords et diagnostics communs ont été nombreux.

Les politiques néolibérales agressives menées par les gouvernements ont été critiquées, tout en soulignant l’existence et la variété possibles de modèles alternatifs tels que les communs, la décroissance, et les systèmes agricoles impliquant une démocratie délibérative. La nécessité de mettre en place des mécanismes de solidarité, surtout pour les migrant.es et les réfugié.es souvent exploité.es, a été mise en avant. L’importance de donner la parole et de renforcer le rôle des populations les plus directement concernées et marginalisées a été également partagée.

Certains désaccords ont été aussi posés sur la table, montrant tout le travail restant à accomplir. Pour beaucoup, le besoin de construire des alliances à travers les luttes locales et de s’opposer aux multinationales tout en adoptant une pensée plus globale s’est fait ressentir. Des divergences sont surtout apparues sur l’engagement et alliances avec les partis politiques, l’approche du concept de convergence, la façon de trouver une solution pour la paix, et sur les priorités des mobilisations. Il y a toutefois eu de nombreux consensus, comme sur notre opposition à la guerre (en Palestine, en Ukraine et partout dans le monde), ou sur l’importance de l’approche intersectionnelle et la critique des structures coloniales européennes. Contre le capitalisme vert, la défense d’une bifurcation écologique juste, décoloniale, féministe et populaire a largement été partagé comme un impératif démocratique et social, incluant une participation citoyenne, une formation adaptée aux travailleurs, et le rejet des nouvelles relations néocoloniales, tout en prenant en compte la responsabilité historique et les disparités économiques entre le Nord et le Sud global.

Enfin, des pistes d’améliorations concrètes ont été proposées pour l’ECSA qui se veut non seulement un événement mais aussi un processus permanent évolutif en recherche constante d’innovation méthodologique. La nécessité de créer des espaces d’apprentissage et de développement encore plus inclusif s’est fait ressentir, bien que des efforts aient été faits, comme avec la mise en place d’une garderie, d’un système d’interprétariat, et d’une procédure qui permettait de traiter les violences sexistes, sexuelles, racistes, validistes, classistes et grossophobes. Par ailleurs, la demande d’une création de plateforme durable pour répondre aux défis structurels, et d’améliorer la clarification des positions et de la planification stratégique des organisations participantes ont fait partie des pistes proposées pour le futur du processus. La première chose à faire reste néanmoins, pour une grande majorité des présent.es, d’effectuer une introspection urgente sur comment nous pourrions élargir notre portée et devenir plus représentatif.ves.

Un pari réussi ?

Alors, avons-nous atteint nos objectifs ? De leur coté, les personnes organisant ne voient que ce qui doit être amélioré, alors que les personnes simplement participantes insistent, la plupart du temps, sur les aspects positifs, tout particulièrement les primo-militant.es. Il est donc difficile d’affirmer avec véhémence la réussite d’un tel évènement, ou même de savoir ce qui va en sortir concrètement. Ce qui nous semble certain, c’est que nous devons continuer sur cette voie. Chaque rencontre entre mouvements sociaux, syndicats, ONG et personnes qui luttent, petite ou grande, sème les graines de l’avenir, bien que les fruits de ces efforts ne soient pas toujours immédiatement visibles.

C’est d’ailleurs dans ce sens que va la dynamique : l’unanimité des organisations présentes lors de la réunion du comité de pilotage post événement ont exprimé clairement leur souhait et volonté d’organiser une nouvelle édition dans deux ans. D’ici là, des efforts restent sans nul doute à fournir, entre autres méthodologiques, communicationnels, mobilisationnels et organisationnels nécessitant un certain temps de préparation et d’implication en amont, ce qui a cruellement fait défaut sur cette édition.

Nous en sommes certain.es, même si les répercussions sur les élections européennes à venir seront surement faibles, cette première édition a été pour nous une étape clé absolument nécessaire, un creuset bouillonnant de débats et de discussions stratégiques au niveau européen, pour parvenir à une compréhension mutuelle des contextes actuels, et pour clarifier nos divergences et concordances. L’ECSA a enfin permis à certaines organisations participantes de construire entre elles une route vers des actions futures concrètes et significatives pour une Europe sociale, féministe, antiraciste, écologique, pacifique et démocratique.

Remerciements

Pour conclure, il nous semble important de remercier très chaleureusement et mettre en avant tou.tes les bénévoles et salarié.es des organisations du comité de pilotage et de bien d’autres, qui, souvent en dehors de leurs horaires de travail, ont tout fait pour qu’un tel événement soit possible.

Un remerciement appuyé également à Attac Marseille et d’autres groupes (comme la LDH, le mouvement Utopia, etc) et aux militant.es locaux qui ont porté toute la partie logistique et autres. Malgré tous les défis, elles et ils ont fait preuve d’une compréhension et d’une volonté incroyable tout le long de la construction de cette 1er édition de l’ECSA.

De la même façon, l’aspect européen, l’échange entre nous, et le combat contre les dominations et systèmes de pouvoir liés aux langues n’auraient pas été possible sans la Fondation Rosa-Luxemburg, l’association [bla], et son équipe bénévole d’interprètes. Enfin, merci à la mairie de Marseille et à ses élu.es qui nous ont aidés à financer une partie de l’évènement.

Tout ne fait que commencer, alors n’hésitez pas, rejoignez-nous et construisons ensemble le futur de l’ECSA !

Quelques photos souvenirs de ces bons moments !

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