Interdire les jets privés, un prérequis à la bifurcation écologique et sociale

jeudi 10 octobre 2024, par Attac France

Lorsqu’on parle de justice fiscale, sociale et environnementale, il y a des luttes qui cochent toutes les cases. Celle contre les jets privés en est un très bon exemple. Elle illustre en effet parfaitement le paradoxe qui relie entre elles les différentes injustices : ceux qui sont le plus responsables de l’aggravation du changement climatique sont ceux qui en subissent le moins les conséquences. Et ce sont les mêmes qui participent le moins aux efforts de transition alors que ce sont ceux qui en ont le plus les moyens.

Une aberration environnementale

Le patrimoine moyen des propriétaires de jets privés est estimé autour de 1,3 milliard d’euros et les émissions annuelles de gaz à effet de serre de ces milliardaires se comptent en milliers de tonnes de CO2, voire en dizaines de milliers de tonnes de CO2 bien loin de la cible de 2 tonnes de CO2 par an que l’on doit atteindre en 2050 (5 tonnes à l’horizon 2030) pour espérer pouvoir limiter la catastrophe climatique. Le secteur qui pèse le plus lourd dans les émissions de gaz à effet de serre des milliardaires est le transport, et en particulier leurs modes de déplacement de luxe que sont les yachts et les jets privés.

La France a une responsabilité énorme dans ce domaine puisqu’elle est la championne de l’UE en termes de vols en jets privés avec 85 000 vols au départ de l’hexagone en 2022 (et même 106 000 en 2023), ayant généré presque 400 000 tonnes de CO2. Les aéroports du Bourget et de Nice sont même les aéroports les plus fréquentés d’Europe pour l’aviation privée. Or la moitié de ces vols s’effectue sur des distances inférieures à 500km, sur lesquelles ce mode de déplacement est peu efficace à cause de la consommation plus élevée des phases de décollage et d’atterrissage par comparaison aux phases de vol. Une heure de vol en jet privé émet environ 2 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, là où l’aviation de ligne est en moyenne 10 fois moins émettrice et le TGV 650 fois moins émetteur. Les trois quarts des vols en jets privés pourraient ainsi être remplacés par des trajets en TGV, sur des lignes existantes, notamment les vols Paris-Londres ou Paris-Genève qui sont parmi les plus fréquents.

Un privilège fiscal

Jusqu’en 2023, le kérosène de l’aviation d’affaire privée était taxé 35 à 40% moins que l’essence. Depuis 2024, la taxe sur le kérosène de l’aviation d’affaire privée est alignée sur celle des carburants routiers. Ainsi la contribution est la même pour tout le monde, quel que soit le niveau de revenu et l’impact carbone du mode de déplacement ! Mais il y a pire. L’aviation d’affaires commerciale (location de jets privés) ne paye, elle, aucune taxe sur le kérosène et une taxe dérisoire sur les billets d’avion. Or, la location de jet privé permet également à ses utilisateurs d’échapper au contrôle citoyen du suivi de leurs déplacements et donc de leurs émissions de CO2, à l’instar de Bernard Arnault par exemple.

Sur le plan de la fiscalité, les jets privés sont parfois une occasion pour leurs riches propriétaires, qu’ils soient des milliardaires ou des entreprises du CAC40, d’avoir recours à des arrangement fiscaux en dissimulant leurs avions dans des sociétés indépendantes, des holdings ou des filiales, à l’étranger. Un peu comme les yachts immatriculés dans les paradis fiscaux en somme.

Plus globalement, la fiscalité environnementale, et en particulier la fiscalité énergétique, pèse plus lourdement sur les ménages modestes que les ménages aisés, bien que l’empreinte carbone de ces derniers soit beaucoup plus importante.

Un marqueur de classe sociale

Le patrimoine financier des utilisateurs de jets privés se chiffre donc en milliards d’euros. C’est un usage réservé à une poignée de personnes, d’hommes d’ailleurs, qui ne peut, et surtout qui ne doit, vu les enjeux environnementaux, être massifié. L’argument de la nécessité de se déplacer vite pour les plus riches est souvent évoqué pour justifier les vols en jets privés, comme l’avait par exemple répété l’ancien ministre des Transports, M. Djebarri, en affirmant que « le temps des décideurs [était] précieux ». Cet argument, qui acte la séparation de l’humanité entre deux catégories de personnes - celles dont le temps de vie aurait de la valeur, et les autres - est une négation totale des principes fondamentaux de notre société.

Par ailleurs il ne tient pas lorsqu’on regarde dans le détail le type de trajet concerné. On remarque par exemple que la fréquence des vols est bien plus importante en été qu’en hiver et que notamment le nombre de vols vers les destinations balnéaires explose à cette période. De même, les jets privés sont parfois utilisés sur des trajets inférieurs à 30km, ce qui est une aberration écologique qui n’a absolument aucune nécessité même pour de riches hommes d’affaires. Enfin, de l’aveu même de certains de leurs propriétaires, les jets privés sont très souvent utilisés pour un usage...privé !

Interdire les jets privés, un prérequis à la bifurcation écologique et sociale !

La nécessaire réduction de nos émissions collectives de CO2 repose sur plusieurs piliers, dont le premier à mettre en place est la sobriété qui peut consister à réduire ou supprimer des usages qui ne sont pas indispensables à nos besoins. L’utilisation de jets privés en est un très bon exemple puisque le besoin primordial auquel ils répondent - se déplacer - est déjà couvert par d’autres moyens de transport. Supprimer les vols commerciaux et privés en jets, à l’exception donc des vols médicaux et militaires, n’impacterait que très peu de personnes et ne nécessiterait pas d’investissement supplémentaire. C’est donc une mesure très peu coûteuse sur le plan social et financier. Au contraire, elle est essentielle avant de pouvoir envisager d’autres mesures plus globales, qui demanderont un effort à l’ensemble de la population, et en particulier sur les plus précaires, qui, on le rappelle, ont déjà une empreinte carbone inférieure à celle qui est attendue en 2030 pour respecter l’Accord de Paris.

À l’échelle mondiale, depuis 1990, les 1% les plus riches ont émis, pour leurs caprices luxueux, deux fois plus de CO2 que la moitié la moins fortunée de la population, en relâchant ainsi dans l’atmosphère déjà 12% du stock commun de carbone nous permettant de maintenir une planète habitable. Ainsi nous ne vivons clairement pas dans le même monde que les ultra-riches, mais comme malheureusement nous partageons la même planète, il est urgent de légiférer pour réduire drastiquement leurs émissions de CO2 afin d’imaginer une société aux modes de vie soutenables et acceptables pour tout le monde.

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