COP20 à Lima : des États qui tergiversent quand les ONG et les mouvements sociaux s’organisent

Note de décryptage : des faits et des propositions.
samedi 6 décembre 2014, par Attac France

À un an de la conférence de l’ONU sur le changement climatique de Paris-Le Bourget, et alors que l’inertie et les insuffisances des politiques climatiques internationales persistent, Attac France et ses partenaires sont présents à Lima (Pérou) à l’occasion de la COP20. Objectifs : décrypter les négociations et les propositions portées par le gouvernement français et les négociateurs européens, tout en poursuivant et renforçant le travail de mobilisation citoyenne internationale pour mettre sur pied un vaste mouvement social pour la justice climatique.

Tous les signaux sont au rouge : températures moyennes mensuelles ou annuelles record, émissions de gaz à effet de serre en hausse, phénomènes climatiques extrêmes dont la fréquence et l’intensité augmentent, et pourtant les chefs d’État et de gouvernement pérorent sans amorcer les véritables transformations socio-écologiques de nos modèles de production et de consommation. Le business as usual continue de triompher contre la nécessité impérieuse de remettre en cause la libéralisation du commerce et des investissements, d’introduire un moratoire général sur la recherche et l’exploitation de nouvelles sources d’hydrocarbures, d’entraver la main-mise de la finance sur les biens communs.

Les exemples ne manquent pas : François Hollande a fait la promotion des investissements des entreprises françaises dans l’exploitation du pétrole issu des sables bitumineux en Alberta (Canada) le jour de la publication de la synthèse du 5e rapport du GIEC qui confirmait la gravité de la situation et soulignant la très grande responsabilité des États ; le G20 introduit un paragraphe un paragraphe sur les défis climatiques dans sa déclaration finale tout en précisant qu’il s’agissait de « soutenir le développement durable, la croissance économique, et la sécurité des affaires et des investissements » ; l’Union européenne négocie avec le Canada et les États-Unis des accords de libéralisation du commerce et de l’investissement qui vise à encourager l’exploitation et le commerce transatlantique d’énergies fossiles ; la liste est longue.

C’est dans ce contexte que la 20ème Conférence des Parties se tient à Lima, au Pérou, du 1er au 12 décembre 2014. Objectif des négociateurs : structurer et préciser les éléments de ce que pourrait être un nouvel accord qui serait validé à Paris en 2015, ainsi que la nature et le calendrier des contributions des pays tant en termes de réductions d’émissions, de financements que de transferts de technologies et de compétences. Compte tenu des propositions actuellement sur la table des négociations, aucun accord contraignant, juste et à la hauteur des enjeux n’est à attendre en 2015 à Paris. Les pays les plus puissants ne veulent pas que leurs décisions soient dictées par les autres pays ou en fonction des recommandations scientifiques. Ils prennent ainsi le risque d’enterrer l’objectif visant à ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement climatique global d’ici la fin du siècle. Tandis que les 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 qui ont été promis en 2009 pour soutenir les populations du Sud face aux dérèglements climatiques ne sont toujours pas sur la table.

Face à l’urgence climatique, la passivité, quand ce n’est pas l’action irresponsable, des dirigeants et des multinationales imposent à la société civile d’initier une bataille globale et de long terme. Lima 2014 et Paris 2015 doivent marquer l’essor d’un vaste mouvement social pour la justice climatique, mouvement indispensable pour amorcer le changement systémique dont nous avons besoin, en particulier afin de subordonner les intérêts financiers aux exigences climatiques. Attac France et ses partenaires, en lien avec la Coalition Climat 21, s’y impliquera de toutes ses forces.

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Informations complémentaires

Vers le chaos climatique ?

Le mois de septembre 2014 a été le plus chaud jamais enregistré [1], devenant le 355e mois consécutif pour lequel la température de la planète a été au-dessus de la moyenne de celle du XXe siècle. Il fait suite à un mois d’août qui avait battu les mêmes records [2]. L’année 2014 est en bonne voie pour battre le record de l’année la plus chaude observée [3] depuis la fin du XIXe siècle. Au total, treize des quatorze années les plus chaudes mesurées depuis la révolution industrielle appartiennent au XXIe siècle. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), c’est l’augmentation continue et entretenue de la concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère qui explique la hausse de la température mondiale moyenne mondiale observée. Un nouveau record de niveau d’émissions mondiales a été battu [4] en 2013 et les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont, pour la première fois [5] depuis trois millions d’années, dépassé la barre des 400 parts par million, durant deux jours en 2013 et sur des moyennes mensuelles en 2014.

À ce jour, la température mondiale moyenne a déjà augmenté de 0,8 °C depuis l’ère préindustrielle. Les conséquences sont déjà palpables : les océans se réchauffent et s’acidifient modifiant ainsi les écosystèmes et courants marins. Les glaciers andins, alpins ou himalayens fondent, les calottes glacières du Groenland et de l’Arctique se rétractent Le niveau de la mer augmente et menace de nombreuses côtes et îles de la planète, les saisons des pluies et des moussons sont profondément perturbées et les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient et s’intensifient. En témoignent les terribles inondations et sécheresses qui ont touché ces dernières années le Pakistan, la Thaïlande, les pays de l’Est de l’Europe, les États-Unis, l’Afrique australe, l’Australie etc, ou encore les ouragans Bhopa et Haiyan aux Philippines, et Sandy en Haïti, à Cuba et aux États-Unis. Un rapport récent de la Banque Mondiale sur le sujet indique que ces tendances ne devraient que s’aggraver dans le futur [6].

Les derniers rapports du GIEC indiquent que la température moyenne du globe à la fin du siècle pourrait dépasser de 4,6 °C ce qu’elle était avant l’ère industrielle. Les dommages subis par la biodiversité et les écosystèmes réduiraient sans doute considérablement la capacité de la nature à assurer une série de fonctions écologiques pourtant essentielles à la vie humaine et la vie en général. Sans qu’il ne soit possible d’y remédier par la technique ou d’hypothétiques nouvelles technologies, au point que les réseaux d’approvisionnement en eau potable, en énergie, en aliments pourraient être détériorés, que les capacités de se protéger des maladies diarrhéiques, respiratoires et contagieuses seraient fortement réduites et que la sous-alimentation et la malnutrition gagneraient encore du terrain. Selon les chiffres donnés par Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies, 300 000 personnes meurent chaque année des conséquences des dérèglements climatiques. Il pourrait y en avoir 100 millions d’ici 2030 [7].

Le GIEC affirme qu’une hausse de 2 °C des températures pourrait entraîner une perte annuelle de l’ordre de 0,2 % à 2 % du produit économique brut mondial. Sur le plan agricole, de nombreuses régions vont voir leur productivité s’effondrer tandis que la volatilité des prix agricoles sur les marchés mondiaux va s’accroître, menaçant tous les objectifs et programmes de sécurité et de souveraineté alimentaires. Le rapport Stern [8] évaluait en 2006 les coûts de l’inaction en matière de climat à 7 000 milliards de dollars, soit plusieurs points du PIB de l’économie mondiale. Le seul coût de submersion des zones côtières provoquée par l’élévation du niveau des mers pourrait atteindre 300 milliards de dollars selon le GIEC.

Autant de raisons qui justifient de tout mettre en œuvre pour réduire à 2 °C, voire 1,5 °C si possible, l’augmentation de la température moyenne globale, comme s’y sont engagés les chefs d’État et de gouvernement de la planète, aussi bien à Copenhague (2009), qu’à Rio (2012) que lors de nombreuses autres réunions internationales (G8, G20, etc).

UE, États-Unis et Chine sont en train d’abandonner l’objectif des 2 °C

La plupart des commentateurs se sont réjouis des engagements de l’Union européenne en octobre dernier, puis de ceux des États-Unis et de la Chine en novembre. Pourtant, si les autres pays de la planète suivaient le niveau d’engagement des États-Unis et de la Chine, il n’y aurait à peine qu’un pour cent de chance [9] de ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement climatique d’ici la fin du siècle. C’est à se demander si les gouvernements ne sont pas tout simplement en train d’abandonner cet objectif des 2 °C, au delà duquel les scientifiques craignent un emballement climatique tel que les capacités de prévision et de planification indispensables seraient remises en cause, tout comme la possibilité de s’adapter à ces nouvelles conditions [10].

En s’engageant à réduire d’au moins 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, l’Union européenne (UE) abandonne toute prétention de leadership en matière de lutte contre les dérèglements climatiques et entérine ainsi la perte de plusieurs années décisives dans la lutte contre les dérèglements climatiques. En effet, adopter un objectif de 40 % de réductions d’émissions d’ici 2030 revient à repousser à l’après 2030 l’essentiel des efforts. Rappelons en effet que l’objectif officiel pour 2050, cohérent avec les recommandations unanimes des scientifiques, est une baisse minimale de 80 % des émissions, soit -2,5 % par an. Or l’objectif de -40 % en 2030 permet de se contenter d’une baisse de 1,3 % par an : deux fois moins que le nécessaire. Du fait du retard ainsi pris, il faudra ensuite une baisse de 5 % par an pour atteindre l’objectif en 2050 !

De leur côté, les États-Unis ont annoncé une réduction de 26 à 28 % de leurs émissions d’ici 2025 par rapport à 2005, soit l’année où les émissions américaines ont été les plus fortes jamais observées. Ramenés à 1990, année de comparaison internationale, les objectifs américains sont tout à fait modestes : 0,4 % de réduction annuelle des émissions. De la même manière que l’Union européenne, les États-Unis repoussent à l’après 2025 l’essentiel de l’effort qu’ils doivent fournir : à supposer qu’ils atteignent l’objectif qu’ils se sont fixés pour 2025, il leur faudra réduire leurs émissions de près de 5 % par an entre 2025 et 2050 pour atteindre un objectif minimal de 80 % de réduction d’émissions que Barack Obama avait assigné à son pays en 2011.

Quand à la Chine, elle envisage d’atteindre un plafond d’émissions autour de 2030, ce qui revient à annoncer qu’un nouveau record d’émissions de gaz à effet de serre sera battu chaque année et ce pendant près de quinze ans, malgré une probable amélioration significative de l’intensité carbone de l’économie chinoise dans les années à venir. Alors que la Chine et les États-Unis sont responsables de près de la moitié des émissions mondiales (environ 45 %), leurs engagements sont cruciaux sur le plan des données absolues mais aussi parce qu’ils auront des effets d’entraînement à l’échelle mondiale. Il est dès lors vraisemblable que les pays les plus rétifs à réduire leurs émissions comme le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Russie et le Japon, de même que les grands émergents comme le Brésil et l’Inde, s’alignent par le bas sur les faibles engagements américains et chinois.

Vers un accord « universel » mais sans contrainte ?

Avec leurs annonces respectives, l’Union européenne, les États-Unis et la Chine expriment clairement que leurs engagements en matière de climat ont été décidés en fonction de leurs propres situations et des grands équilibres géopolitiques, et non afin de partager les efforts planétaires à accomplir et de se répartir un «  budget carbone  ». A toute contrainte multilatérale, ils préfèrent un instrument juridique souple où chaque État est invité à annoncer, à intervalles de temps réguliers et de manière unilatérale – selon le concept de « self-determination » – son propre engagement pour une période donnée. A travers ce modèle dit de « Name & shame », il se verra accordé un satisfecit international si ses objectifs sont jugés suffisants et s’ils sont atteints, et il sera « couvert de honte » dans le cas contraire.

Dans le cas où ce modèle serait adopté à Paris, les négociations climat connaîtraient un tournant majeur : l’échelon national primerait désormais sur la fixation et la réalisation d’objectifs définis au niveau multilatéral. Le Protocole de Kyoto, que le Canada a décidé de quitter et que le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Russie ont décidé de ne plus respecter, fixait un objectif global de réduction d’émissions qui, aussi limité soit-il, devait être réparti entre les pays industrialisés sur une période donnée. Le futur cadre politique qui pourrait être validé à Paris ne ferait que consigner des objectifs nationaux. Ce point n’est néanmoins pas acquis et fait l’objet d’âpres discussions. Ainsi, lors des dernières discussions qui se sont déroulées à Bonn du 20 au 25 octobre, le Brésil a affirmé qu’un tel dispositif ne « conduirait pas à un accord  » et l’Afrique du Sud que c’était le moyen « d’aboutir au plus petit dénominateur commun ».

L’avenir des principes d’équité et de responsabilités communes mais différenciées, qui distinguent les pays développés des pays en voie de développement, est clairement en jeu. États-Unis, Union Européenne et l’essentiel des pays dits « développés » en appellent à un accord «  universel  » pointant le fait que toute une série de pays émergents sont devenus des pays comptant parmi les plus importants émetteurs de gaz à effet de serre. Ces principes sont en revanche jugés indépassables par toute une série de pays considérant que les responsabilités historiques et les capacités à agir restent très fortement différenciées entre les pays de la planète. Plusieurs pays, comme le Brésil, ont fait des propositions, toujours débattues, pour tenter de dépasser ces désaccords. Rien ne dit qu’ils puissent être résolus à Lima.

Financements : à peine « quelques cacahuètes »

« Tout ce qu’on a, ce sont des cacahuètes » avait lâché le négociateur du Bangladesh en conclusion de la conférence de Varsovie en 2013. Il n’y a guère plus à la veille de la conférence de Lima. Les financements annoncés depuis plusieurs années ne sont toujours pas là. Du côté du fonds ‘adaptation’, qui doit permettre aux pays de prendre des mesures pour s’adapter aux dérèglements climatiques actuels, à peine 100 millions d’euros avaient été récoltés lors de la COP19 en décembre 2013. Décidé à Copenhague, le Fonds Verts pour le Climat (FVC) vient à peine de voir le jour. Mais on n’est loin des 100 milliards de dollars par an annoncés d’ici 2020 : moins de 10 milliards de dollars ont été réunis... qui ne seront versés que sur plusieurs années. Soit in fine pas grand chose. Le milliard de dollars annoncé de façon tonitruante par François Hollande, est en fait dérisoire [11]. Les États-Unis et le Japon qui ont respectivement annoncé contribuer à hauteur de trois et un milliard et demi de dollars, n’ont pas précisé sur combien d’années ces sommes se répartissent. Le Royaume-Uni, l’Italie et d’autres pays ont suivi, pour des montants globaux très éloignés des objectifs annoncés.

Par ailleurs, aucune garantie n’a été donnée en réponse aux ONG et mouvements sociaux pour qui les financements doivent être publics, additionnels, disponibles sous forme de dons et non de prêts conditionnés, orientés vers une véritable transition écologique et sociale et prioritairement destinés aux populations qui en ont le plus besoin. Ainsi la délivrance de prêts conditionnés n’est ni exclue ni plafonnée, faisant craindre que ce soit le dispositif privilégié et que ces prêts contribuent à accentuer l’endettement de nombreux pays. A ce jour, il n’est pas exclu que le Fonds vert puisse financer des projets néfastes pour l’environnement tels que des méga-barrages, des projets de centrale nucléaire ou même des projets de développement des énergies fossiles supposés moins polluants (« charbon propre »). Enfin, les États-Unis et le Royaume-Uni ont obtenu que le secteur privé puisse avoir recours au FVC sans limite a priori, à travers un véhicule de financement propre (Private Sector Facility) qui pourrait être accessible aux multinationales des pays bailleurs. Certains pays, dont la France, militent pour que le FVC se dote « d’instruments financiers innovants », c’est-à-dire de dispositifs suffisamment rentables pour attirer les investisseurs internationaux privés.

La finance carbone continue de s’étendre

Le financement de la lutte contre les dérèglements climatiques n’est pas un sujet technique et comptable. C’est une question politique, et un des outils de la reconversion des économies, qui conditionne l’efficacité climatique, la viabilité sociale et la pérennité des politiques menées. Les objectifs et moyens de financement doivent être mis au service d’une véritable stratégie visant à entrer dans une monde post-fossile, de façon juste et démocratique. Alors que la finance internationale oriente les flux de capitaux en fonction du seul critère de rentabilité à court terme et génère des crises financières systémiques dévastatrices, il serait irresponsable de lui confier les clés des politiques climatiques, tant du point de vue de leur financement que de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Impossible non plus de s’appuyer sur le simple verdissement des régulations financières acceptées par les banques, investisseurs et multinationales. Il est nécessaire de désarmer la finance et les marchés financiers pour donner aux États, aux collectivités locales et aux citoyens les moyens de mettre en œuvre de véritables politiques de transition écologique et sociale.

Ce n’est pourtant pas la voie poursuivie. De nouveaux dispositifs de marché et de finance carbone sont mis sur les rails ou envisagés, que ce soit pour donner un prix au carbone et espérer transformer les choix des investisseurs et des consommateurs, ou pour pallier aux besoins de financement que les budgets publics refusent d’assumer en invoquant les politiques d’austérité. Cette volonté d’accélérer la mise en œuvre de nouveaux marchés carbone (Californie, Chine, Québec, Corée...) s’exprime également à l’extérieur des négociations de l’ONU. Sous le terme « un prix pour le carbone » (carbon pricing), la Banque Mondiale a lancé une initiative mondiale pour promouvoir « différents instruments visant à réduire les émissions de façon efficace et rentable, tels que les marchés carbone domestiques, les taxes carbone et l’utilisation de dispositifs basés sur le coût social du carbone et/ou le paiement pour la réduction des émissions » [12]. A New-York, lors du sommet de Ban Ki-moon, soixante-treize gouvernements nationaux, onze gouvernements régionaux et plus de 1000 « leaders économiques et investisseurs », qui représenteraient 52 % du PIB, 54 % des émissions et près de la moitié de la population de la planète, ont indiqué leur soutien à la proposition de la Banque Mondiale [13]. On trouve [14] parmi ces derniers de très nombreuses banques et assurances (AG2R, BNP, Deutsche Bank, etc.), multinationales (Airbus, Air France, Arcelor Mittal, BP, DuPont, GDF Suez, Lafarge, Rio Tinto, Schell, Statoil, Unilever, Veolia, Yara, etc) et investisseurs. Alors que le marché européen, pionnier en la matière, s’est révélé inefficace, dangereux, coûteux et non-réformable [15], les multinationales des secteurs bancaire, financier et industriel et les États poursuivent dans la même voie.

REDD : Les forêts sont un bien commun, pas un nouvel actif financier

Il est estimé que la déforestation et la dégradation des forêts représentent près de 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre : les forêts stockent moins de carbone et d’importantes quantités de gaz à effet de serre sont relâchées par la modification de l’usage des sols. Raison pour laquelle des négociations ont été lancées dès 2005 pour mettre en œuvre un programme mondial de Réductions des Emissions liées à la Déforestation et la Dégradation des forêts (REED). Faisant appel aux institutions internationales et agences de l’ONU, mais également aux États, au secteur privé et aux ONG, les dispositifs REDD visent à mobiliser des financements en faveur des pays et régions forestières pour les inciter à réduire la déforestation et restaurer les forêts dégradées. Depuis, différents pays, notamment le Pérou, ont mis en place des dispositifs nationaux ou régionaux, souvent expérimentaux, s’apparentant à une déclinaison de REDD.

De nombreux projets REDD sont connectés à des dispositifs de finance carbone, qui réduisent la forêt à un puits de carbone que l’on évalue et valorise en fonction de la quantité supposée de carbone qu’il contient. Pourtant les forêts sont également des réserves de biodiversité et un chaînon essentiel au cycle de l’eau, tout en abritant des peuples qui vivent de la forêt qu’ils entretiennent. De plus, les projets REDD existants ne permettent pas de s’attaquer aux causes sous-jacentes de la déforestation tels que le commerce mondial [16]. Les résultats ne sont pas très encourageants puisque 13 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année alors que 2 milliards d’hectares de forêts dégradées n’ont toujours pas été restaurés. Pourtant les promoteurs de ces dispositifs espèrent que la COP20 de Lima contribue à faciliter l’inclusion de REDD+ dans le prochain accord international sur le climat que les parties souhaitent adopter à Paris en 2015. A l’inverse, de très nombreuses organisations [17] et populations rejettent cette option. Tout projet de lutte contre la déforestation devrait au contraire être élaboré avec les populations concernées, dans le respect de leur souveraineté sur des propriétés communes et en tenant compte de la complexité des régions forestières : la lutte contre la déforestation ne doit pas conduire à la mise en place de droits de propriété privée et à l’accaparement du foncier par des multinationales ou des États.

L’agriculture doit rester hors de l’emprise de la finance et des multinationales

C’est lors de la COP17 à Durban (Afrique du Sud) en 2011 que l’agriculture a été intégrée aux négociations à travers un groupe de travail dédié. Lors du sommet de l’ONU pour le climat de septembre 2014, une alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat a été lancée [18], à l’initiative de la FAO et de la Banque Mondiale, avec seize pays, dont la France, et trente-sept organisations. Les objectifs conssitent à dire qu’il serait tout à fait possible de d’augmenter durablement la productivité agricole et les revenus, tout en améliorant la résilience des systèmes alimentaires et des moyens de subsistance tirés de l’agriculture et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre liés à l’agriculture. Derrière l’image raisonnable et vertueuse d’une agriculture favorable au climat, priorité est donnée à l’agriculture intensive et productiviste, y compris à travers l’usage d’intrants chimiques (engrais, pesticides, herbicides...) et d’OGM, visant à « moderniser » les agricultures traditionnelles à travers la mise en œuvre de pratiques et de savoirs qui ont démontré leur nocivité dans les régions agricoles les plus intensives de la planète.

Les biotechnologies et le génie génétique sont par exemple promus pour leurs effets supposés positifs sur la sécurité alimentaire et l’adaptation aux dérèglements climatiques. Dans ce cadre, un rôle central serait donné à la finance carbone et aux investisseurs financiers pour déployer les projets d’agriculture intelligente face au climat. Au final il s’agit donc de modifier l’environnement juridique et institutionnel et de réorienter les financements publics et privés : les programmes de sécurité alimentaire et d’aide au développement évolueraient de façon à encourager la mise en œuvre de technologies, pratiques et systèmes agricoles intelligents face au climat. Ainsi le Fond international de développement agricole (IFAD) et la Banque mondiale ont annoncé que 100 % de leurs porte-feuilles d’investissement dans l’agriculture – environ 11 milliards de dollars – seraient « intelligents face au climat » d’ici 2018. Y compris les financements destinés aux agricultures les plus pauvres. De son côté, le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) allouera plus de dix milliards de dollars sur dix ans pour des projets de recherche en matière « d’agriculture intelligente face au climat ». En résumé, OGM, finance carbone et mécanismes financiers innovants sont supposés sauver les paysans et la planète des dérèglements climatiques.

G20 et accords de libre-échange minent le climat

Lors du récent G20 en Australie, nombre de commentateurs ont salué l’introduction d’un paragraphe portant sur le climat dans la déclaration finale. Ce paragraphe ne dit pourtant pas grand chose et n’est absolument pas nouveau dans le cadre des déclarations conclusives du G8 ou du G20. Les chefs d’État et de gouvernement des pays du G20 se sont en effet engagés à soutenir «  une action forte et efficace pour lutter contre le changement climatique  », appellant à la capitalisation du Fonds vert pour le climat et à un accord lors de la conférence de Paris. Ils n’ont pas omis de préciser qu’il s’agissait de « soutenir le développement durable, la croissance économique, et la sécurité des affaires et des investissements ». Plus de croissance économique, plus de business pour le climat, telle est donc la préconisation des chefs d’État et de gouvernement des pays les plus puissants : de nombreuses autres déclarations du G8 ou du G20 évoquent les défis climatiques tout en comprenant de nombreuses références à l’extension du commerce international et la sécurité des investisseurs privés. C’est d’ailleurs lors d’un G8, celui de l’Aquila (Italie) en juillet 2009, que l’objectif d’un réchauffement maximal de 2 °C avait été fixé par les pays les plus puissants de la planète. On sait ce qu’il est advenu de la Conférence de l’ONU sur le changement climatique qui a suivi ce G8 : c’était Copenhague.

Ces déclarations du G8 et du G20 illustrent l’action de gouvernements qui se refusent de remettre en cause la globalisation des marchés et l’exploitation effrénée des ressources d’énergie fossiles. Pourtant, les politiques de libéralisation du commerce et d’extension des droits des investisseurs renforcent la division internationale des systèmes productifs, font prédominer le droit des investisseurs sur le droit de l’environnement et la démocratie, et ignorent les exigences climatiques. En orientant le développement économique vers l’exportation et la recherche de compétitivité externe à tout prix, elles rendent les économies et nos sociétés ultra-dépendantes des importations et exportations d’énergies fossiles, et dotent les acteurs économiques des instruments pour empêcher la mise en oeuvre de véritables politiques de transition énergétique. Les négociations entre l’Union européenne et les États-Unis (TAFTA) et entre l’UE et le Canada (CETA) promeuvent un modèle énergétique insoutenable, très fortement dépendant des infrastructures d’extraction, de transformation et d’acheminement des énergies fossiles, qui anéantit toute ambition de maîtriser le changement climatique. Satisfaisant les intérêts des multinationales de l’énergie et de l’industrie, l’extension du libre-échange et de la protection de l’investissement privé s’oppose aux exigences de sobriété, de relocalisation des systèmes productifs, de développement des énergies renouvelables et de coopération entre les citoyens, les consommateurs et les communautés pour partager et distribuer les ressources existantes. Conclure des accords de l’ampleur de TAFTA et de CETA réduira presque à néant l’espoir de voir naître « des sociétés plus agréables à vivre, plus conviviales, plus solidaires, plus justes et plus humaines  » [19]. Ainsi combattre TAFTA et CETA, c’est lutter contre le réchauffement climatique car c’est préserver la possibilité de mettre en œuvre de véritables pratiques et politiques de transition écologique et sociale. TAFTA ou le climat, il faut choisir !

Du côté des mobilisations

Au Pérou :

Un « Sommet des Peuples face au Changement Climatique » se tiendra du 8 au 11 décembre 2014 à Lima, événement alternatif à la 20e Conférence des Parties de la Convention Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques (COP20). Les organisateurs appellent à « unir nos voix, nos mains, nos cœurs, nos talents et nos capacités créatrices pour éviter que l’irresponsabilité de ceux qui servent leurs propres intérêts immédiats plutôt que ceux de l’humanité toute entière, ne nous mène à la destruction de la biodiversité et des possibilités de vivre dignement sur la planète Terre ».

Une marche mondiale pour le climat aura lieu le 10 décembre, journée Internationale des Droits de l’Homme.

Attac France et ses partenaires seront impliqués dans plusieurs initiatives portant sur la justice climatique, les alternatives systémiques, la financiarisation de la nature, l’expansion de la frontière extractiviste et les hydrocarbures de schiste, la libéralisation des échanges et des investissements, etc.

Par ailleurs, en lien avec la Coalition Climat 21, nous poursuivrons les initiatives visant à renforcer et soutenir l’essor d’un vaste mouvement social pour la justice climatique, mouvement indispensable pour amorcer le changement systémique dont nous avons besoin, en particulier afin de subordonner les intérêts financiers aux exigences climatiques.

Plus d’informations : http://cumbrepuebloscop20.org/fr/

À Paris :

Tout au long des deux semaines de la conférence officielle, Alternatiba Île-de-France et des partenaires organisent une série de débats, projections de films et actions à Paris afin de sensibiliser la population, et plus largement faire entendre les exigences de justice climatique afin de changer le système.

Plus d’informations : http://alternatiba.eu/idf/alternatiba-cop20/programme-mobilisations-du-1er-au-11-decembre/

Note coordonnée et rédigée par Maxime Combes, avec la contribution d’Amélie Canonne et Jeanne Planche.

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