La COP 22, une COP d’indécision et d’incertitude : au choc Trump ne doit pas succéder le désengagement des États

Déclaration d’Attac France
vendredi 18 novembre 2016, par Attac France

La conférence de Marrakech sur le climat (COP 22) a été marquée à la fois par la volonté de célébrer l’entrée en vigueur rapide de l’Accord de Paris et par l’élection d’un président américain ayant fait de la négation du réchauffement climatique un sujet majeur de sa campagne et de son programme. La COP 22, qui devait être celle de l’action et de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, mais où les États, notamment les pays riches, sont venus les mains (presque) vides, restera la COP de l’indécision et de l’incertitude : de sérieuses menaces pèsent désormais sur l’avenir et le contenu mêmes des négociations climatiques internationales et sur la possibilité de contenir le réchauffement climatique en deçà de 2 °C ou, idéalement, de 1,5 °C. Au désengagement des États et au transfert de la charge de l’action aux marchés et acteurs privés tels qu’énoncé dans les couloirs de la COP 22, nous en appelons au contraire à un urgent et nécessaire sursaut politique.

Depuis 25 ans, les États-Unis fixent les contours des politiques climatiques et en limitent l’ambition. C’est à l’occasion du sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, dont est issu la Convention des Nations Unies sur le changement climatique, que le président américain Georges Bush père prononça la phrase devenue ensuite célèbre : « Le mode de vie américain n’est pas négociable ». Cette représentation de la puissance américaine, a conduit les États-Unis à refuser de ratifier le premier traité international sur le climat, le protocole de Kyoto, adopté en 1997. Ils en avaient pourtant infléchi le contenu en ajoutant des mécanismes de flexibilité d’où découlent les marchés du carbone, instrument inefficaces et inadaptés et pourtant toujours promus aujourd’hui.

Ce refus de toute contrainte internationale sera pour partie à l’origine de l’échec de la conférence de Copenhague en 2009, échec pour lequel les États-Unis et les pays industriels ont une responsabilité majeure. Ce blocage récurrent a conduit les architectes de l’Accord de Paris à mettre sur pied un traité basé sur un droit non contraignant qui incite plutôt qu’il ne régule ou sanctionne (soft law), des engagements volontaires (bottom up) déconnectés des objectifs globaux de réduction d’émissions et sans feuille de route clairement établie, des (maigres) financements concentrés sur ce qui est jugé rentable au détriment de l’adaptation, et l’implication toujours plus grande d’une multitude de partenaires privés (multi-stakeholder approach) dont les promesses ne sont ni critérisées, ni contrôlées.

Célébré sans limite, le succès politique et diplomatique de l’Accord de Paris l’a été au prix de l’ambition. Si les États se sont mis d’accord pour contenir le réchauffement climatique en deçà de 2 °C ou d’1,5 °C, l’accord ne formule aucun engagement contraignant et aucune feuille de route précisément définie pour arriver à ce résultat. Y ont été substitués d’hasardeuses propositions, comme les émissions négatives et la neutralité carbone. Dessinés en fonction des lignes rouges fixées par le Sénat américain qui est peuplé d’élus climato-sceptiques – rien de contraignant – et par la présidence chinoise – rien qui ne remette en cause le développement économique du pays d’ici à 2030 – les contours de l’Accord de Paris limitent considérablement les capacités de l’outil dont nous héritons de la COP 21, et plus largement de 25 ans de négociations.

Après l’élection de Trump, les États se désengagent et confient aux marchés et acteurs privés la charge de l’action. Afin de ne pas entacher le récit de la victoire de Paris et ses effets d’entraînement, les premières réactions politiques – du gouvernement français à John Kerry en passant par les architectes de l’Accord de Paris – visent à dédramatiser les résultats de l’élection américaine, en prétendant que le processus de lutte contre le réchauffement est enclenché partout et que les acteurs économiques ont compris les opportunités d’une économie bas carbone. « En marche », « irréversible » ou encore « irrémédiable » sont les mots tendance de cette COP 22 : les marchés, à l’image des firmes transnationales qui appellent Donald Trump à la raison, et les avancées techniques rendraient tout retour en arrière impossible. Après 40 ans de désengagement de la puissance publique en matière économique au profit des transnationales et des marchés financiers, il s’agirait de désormais leur confier notre futur commun, renforçant la globalisation économique à l’origine d’une part importante du réchauffement climatique au détriment des politiques de relocalisation encore plus nécessaires au lendemain de l’élection de Trump.

Vers la fin de l’Histoire et de la politique en matière de climat ? Transférer la responsabilité de la mise en œuvre de la promesse de Paris aux acteurs non-étatiques est désormais présenté comme « l’assurance-vie » de l’Accord de Paris alors que nous avons au contraire besoin de garanties politiques pour accroître considérablement l’ambition des politiques climatiques locales, régionales, nationales et internationales. Au fond, cette narration revient à celle d’une sorte de fin de l’histoire pour le climat : après l’accord de Paris, universel et universellement célébré, il ne resterait plus qu’à régler les questions techniques, comme si les « solutions » au changement climatique étaient consensuelles et apolitiques, ce qu’elles ne sont pas. Fin de l’histoire et fin de la politique : le marché et la technique doivent pourvoir aux défaillances des États, dans un renversement de logique saisissant ! Autant dire que le processus de négociations inter-étatiques serait vidé de sa substance et n’aurait alors plus guère de sens.

L’élection de Donald Trump, qui n’est pas seulement celle d’un trublion, délivre un message politique : les États-Unis refusent toute limite à l’extraction et à la combustion des énergies fossiles, ouvrant la voie à un renforcement des forces niant l’urgence et la nécessité d’un abandon programmé et organisé des énergies fossiles. Bien sûr que les États, les villes, les communautés, les mouvements sociaux qui avaient entamé la transition, vont poursuivre leurs alternatives et leurs résistances. Et les amplifier si possible. Mais nous savons aussi que des réglementations politiques sont nécessaires et urgentes pour assurer la pérennité de ces transitions et transformer profondément les soubassements énergétiques de cette machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale. La main invisible des marchés n’est pas plus verte qu’elle n’est naturellement sociale ou juste.

« Il ne s’agit pas seulement de faire de notre mieux, il s’agit de faire ce qui est requis » (Winston Churchill) a répété à plusieurs reprises John Kerry. Face aux menaces d’abandon de toute politique climatique par les États-Unis, nous ne pouvons ignorer les effets boule de neige, tant ces politiques sont partout insuffisantes et fragiles. Au-delà de l’éventuelle sortie des États-Unis de l’Accord de Paris, qui ne pourra être empêchée par quelques arguties juridiques, l’après COP 22 doit être le moment d’un sursaut politique d’ampleur :

  • la politique énergétique de l’UE (paquet énergie climat 2030 et Union de l’énergie), notoirement insuffisante, n’est pas une fatalité ;
  • la poursuite des investissements dans le secteur des énergies fossiles peut être stoppée en organisant une transition garantissant l’emploi et la justice sociale ;
  • les financements pour le climat pourraient être rapidement débloqués par l’introduction d’une véritable taxe sur les transactions financières au niveau européen et une lutte déterminée contre l’évasion fiscale, qui manque toujours cruellement ;
  • l’impact de la globalisation économique et financière sur le climat, les sociétés et la démocratie peut être infléchi en ne ratifiant pas de nouveaux accords (CETA, etc) et en revoyant les politiques commerciales internationales au nom de l’impératif climatique ;
  • l’abandon et la non-mise en œuvre de politiques climatiques ambitieuses devraient pouvoir être sanctionnés par le droit international ;
  • les décisions climaticides qui engagent la vie de millions de personnes pourraient être reconnues comme des crimes écologiques et jugées par une cour internationale.

Il ne suffit pas de dire : « Nos enfants nous accuseront ». Il s’agit de trouver les voies juridiques, politiques, sociales pour empêcher des régressions aux effets irréversibles. L’indécision de la COP 22 et l’absence de pilotes clairement identifiés ne peuvent que faciliter des crimes climatiques futurs. Les déclarations de Donald Trump et les politiques promises, si elles sont appliquées, relèvent quant à elles de la criminalité internationale.

Marrakech, le 18 novembre 2016

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