Journal de bord de l’Odyssée des alternatives BARCELONE

jeudi 20 octobre 2016, par Marie Gerin-Jean

À l’occasion de la Cop 22, un groupe de militants et de citoyens lancent une aventure décalée pour rallier les deux continents à la voile. Attac, Alternatiba et d’autres associations de la coalition climat soutiennent le projet. L’idée est de faire un tour de la Méditerranée, et d’organiser des fêtes des alternatives à chaque escale où s’arrêteront les voiliers. L’épopée commence à Barcelone le 19 septembre, et quelques jours de navigation plus tard l’escale française se déroulera à la Seyne-sur-Mer dans le Var. Les équipiers embarqués continueront leur périple par la Sardaigne, Bizerte en Tunisie, Alger, pour une arrivée prévue à Tanger vers la mi-novembre. Ce parcours de 1600 milles est en effet un voyage militant qui permettra aux citoyens de différent pays de participer à une aventure commune.

C’est également, une exploration du monde de la mer et les premiers pas pour certains équipiers vers le grand large. Cette odyssée promet d’être une belle expérience sportive qui demande une bonne préparation du voilier. Les matelots embarqueront sur le voilier de l’Ecole de Voile de Charlotte qui s’implante à Marseille et sur le catamaran de François. Le voilier de Charlotte initialement à Lorient a était convoyé jusqu’à Barcelone. Je vais donc vous raconter cette première navigation de 1576 milles comme un avant-gout de l’odyssée.

À Lorient, la semaine qui précède le départ, le voilier est en bichonnage comme pour une compétition. La capitaine ausculte chaque élément, vérifie le matériel de sécurité, change tout ce qui pourrait casser au large. Guillaume, le second nous rejoint pour les ultimes préparatifs. On rajoute un 3e ris (un bout qui permet de réduire la voilure quand le vent est fort), on met des câbles neufs pour le gouvernail, etc. Le dernier jour, on remplit chaque espace libre des cales des placards et des intercloisons de toute la nourriture et de l’eau que nous consommerons pendant les trois semaines de navigation. Sur un bateau, on réalise vraiment le volume que représentent nos déchets. La capitaine n’arrive pas à atteindre le zero waste, mais l’idée est là. Nous ne serons d’ailleurs pas les seules à embarquer, un lombricomposte et des plantes du jardin de Charlotte quittent également la Bretagne pour la Méditerranée. Ces inspirations viennent du très beau projet NOMADE DES MERS [1], qui prouvent que les voiliers sont un excellent laboratoire pour les alternatives et les LOW TECK [2]. Le bateau prêt, la météo prise, nous larguons enfin les amarres le jeudi 29 septembre. On laisse derrière nous le port de Lorient, ses raffineurs grévistes, ses iles bretonnes et ses pécheurs. L’expédition commence par du « près », non pas celui dont rêvent les vaches des fermes-usine de Mr Belin [3], mais le « près » : le vent presque de face qui fait giter vigoureusement le bateau. Les quarts s’enchainent, ceux de nuit sont intenses, les plus longs lorsque le vent se fait désirer, et les plus durs dans la houle. Les milles s’avalent, nous nous déplaçons constamment. Le troisième jour, à la fin du quart de nuit de Guillaume, on criait Terre ! C’est à ce moment qu’apparaissent des centaines de rouges en soulignant les crêtes espagnoles. On les observera pendant toute la descente de l’Espagne et du Portugal. Ce sont les fameuses éoliennes ibériques ! Rappelons à quelques jours de la COP 22, que certains pays n’ont pas attendus un consensus international pour développer les énergies renouvelables. En Espagne, les énergies renouvelables représentent 94 000 emplois [4] et en Allemagne plus de 370 000 emplois, soit dix fois plus qu’en France. En mer, dès que l’on quitte le large, la civilisation se donne à voir par contraste. La côte brille de mille feux à toutes heures de la nuit, ou encore les cargos sont si nombreux, si grands qu’il faut veiller sans cesse pour ne pas finir écrabouillé comme un moucheron sur l’une de leurs coques. Entre les escales, on est mieux au large, loin des autoroutes du libre-échange. Nous ne sommes pas pour autant seul, nous avons croisé des centaines de dauphins et d’oiseaux. Les voir jouer, comme nous, à surfer dans les vagues reste certainement les moments les plus inspirants de tout le voyage. Nous passons le détroit de Gibraltar avec émotion tout en essayant de nous imaginer ces deux mondes séparés par ces quelques kilomètres de bleu. Comme dans toutes les bonnes histoires, les derniers milles sont les plus formateurs, des orages accompagnés de petites tornades s’assurent que nous ayons bien intégré notre leçon d’humilité et que nous n’oublierons pas, une fois arrivés à terre, ces moments d’intimités avec la mer. Barcelone nous accueille dans un tourbillon de bonne humeur. Élise et Clémentine absorbées par le départ de l’Odysée nous mettent à jour avec le sourire. L’odyssée est composée par des personnes de toute la France et de tout âge, souvent militants à Alternatiba, les Amis de la Terre ou Jedi For Climate. Ils ne sont pas tous de grands navigateurs, mais ils portent un grand soin à prévoir les escales, à comprendre la voile en s’appuyant sur d’autres bénévoles et à discuter de la navigation avec les deux capitaines. Ce projet monté en peu de temps se révèle une jolie aventure, porté par la légèreté des individus qui y participent et par un engagement sincère. Ici pas de cadre logique ou de hiérarchie rigide. On sent que certains ont l’habitude de ce type de mouvement citoyen. La soirée de préparation du départ est donc rythmée par des points météo, des réunions d’équipage, un grand repas collectif. Nous utilisons les signes pour rendre plus fluide les prises de parole aux débats et au final ce moment de convivialité est particulièrement efficace. L’Aurea Social de Barcelone accueille la trentaine de participants venue des 4 coins de la France. C’est dans cet espace que les repas sont cuisinés à partir des produits glanés et que le dortoir est organisé. Le jour du départ, tout le monde s’active sur la com’, le forum citoyen et des ateliers dans l’après-midi, la logistique pour l’avitaillement des bateaux, etc. La météo pour la première navigation promet de bizuter les équipages dès le départ. Le catamaran partira en premier vers midi, suivi par le monocoque dans la soirée. Les deux voiliers devraient arriver vendredi 21 au port de la Seyne-sur-Mer pour une escale festive et alternative. Personne ne leur avait dit que c’était impossible alors ils l’on fait. Le projet a maintenant pris forme et l’odyssée peut commencer.

Bon vent !

Marie Gerin-Jean

Notes

[1Nomade des Mers, innovation à bord - Gold of Bengal 
Le projet Nomade des Mers est un tour du monde en catamaran afin de capitaliser les initiatives écologiques. Une expédition de trois ans à la rencontre de l’innovation durable.
goldofbengal.com/nomade-des-mers/

[2L’anglicisme low-tech ou basse technologie, par opposition à high-tech, est attribué à des techniques apparemment simples, économiques et populaires. Le Low-tech Lab du projet Nomade des Mers est une plateforme de recherche collaborative en ligne sur les Low-Tech. Il rassemble des inventeurs de tout horizon (bricoleurs, étudiants, ingénieurs, experts …) afin de faire émerger, ensemble, des solutions répondant à des problématiques de base tout en restant simples, accessibles et respectueuses de leur environnement.

[3Pour en savoir plus, boycott

[4APPA (2014) et IRENA Renewable Energy and Jobs – Annual Review 2015

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