L’Union européenne et les États-Unis négocient depuis juillet 2013 un traité de libre-échange connu sous les sigles de TAFTA ou TTIP. Comme tous les traités de libre-échange, il a vocation à supprimer les protections douanières face aux importations de marchandises. Cela permettra dès lors de saturer les marchés européen et américain de produits et de services déjà disponibles localement, dans des conditions sanitaires, sociales ou environnementales dégradées.
Mais au-delà de ce premier aspect aux conséquences déjà graves, ce traité va beaucoup plus loin ; il a pour ambition de redéfinir, hors de tout contrôle démocratique, les normes et les règles qui encadrent les échanges entre les deux rives de l’Atlantique, en les simplifiant au maximum pour les entreprises. Cela suppose le plus souvent une uniformisation ou une reconnaissance mutuelle des standards. Ces « standards », imposés par les multinationales déjà implantées en Europe et aux États-Unis, seront les moins exigeants possible afin de limiter les coûts. Tous les secteurs de la vie économique et sociale sont potentiellement concernés par ce projet d’accord de commerce et d’investissement : alimentation, santé, énergie, culture, services publics, régulation financière etc.
Le danger pour les peuples européens est donc considérable. Leur capacité à décider de leur mode de vie est menacée par ce traité. S’il est adopté, les règles de vie sociales seront décidées en toute opacité et seront largement irréversibles.
Il est donc primordial que tous les citoyens d’Europe se mobilisent contre ce traité aux côtés des citoyens mobilisés aux États-Unis, et qu’ils exigent l’abandon des négociations d’un projet qui sape la démocratie, les droits sociaux et l’environnement des deux côtés de l’Atlantique.
1. Démocratie en danger : justice privée et « coopération réglementaire »
Le chapitre « investissement » du texte des négociations prévoit la mise en œuvre d’un mécanisme d’arbitrage investisseurs-États. En théorie, il s’agirait de fournir un organe juridique « neutre » aux investisseurs étrangers afin de leur garantir un environnement légal plus propice à leurs opérations d’investissement, et à se prémunir, par exemple, de législations locales qui leurs seraient désavantageuses. De nombreux observateurs affirment pourtant que la législation en matière de protection des investissements, en vigueur des deux côtés de l’Atlantique, est largement suffisante.
Analysé de plus près, ce dispositif est un des plus dangereux du projet de traité. Il permettra à des entreprises privées d’attaquer les États si elles considèrent que les législations de ceux-ci compromettent leurs investissements et leurs profits. Les jugements ne seront pas rendus par les tribunaux habituels mais par des tribunaux privés composés d’avocats et de juristes recrutés parmi les grandes firmes internationales et payés à la mission, sans contrôle et sanction par une magistrature indépendante. Si ce dispositif est adopté, les entreprises pourront faire valoir leurs intérêts contre tous les gouvernements, quel que soit le résultat des élections !
En outre, les promoteurs du TAFTA se proposent d’instaurer une « coopération réglementaire » permanente. Si l’expression semble assez innocente, elle évoque en réalité un processus de prise de décision qui se situerait en dehors des mécanismes démocratiques habituels. Toutes les propositions de futures lois et protections seront préalablement étudiées par des experts non élus, qui réserveront une place officielle aux lobbies d’entreprise à la table des discussions.
Dans ces conditions, bien peu de régulations et de lois ambitieuses survivront à ce « Conseil de coopération réglementaire » souhaité par les négociateurs.
Les parlements nationaux et les assemblées locales ne seront éventuellement consultés qu’en bout de course, et ne joueront plus qu’un rôle marginal dans l’élaboration des règles et des lois. Le débat public sur de nombreux de sujets cruciaux sera confisqué.
2. Alimentation : La protection du consommateur n’est plus assurée !
Les États-Unis réclament que l’Europe en finisse avec le principe de précaution. Ce dernier permet d’interdire l’usage de certains procédés ou produits tels que les OGM ou le traitement chimique des viandes, sur le territoire de l’UE, lorsque la communauté scientifique n’est pas en mesure d’établir avec certitude le caractère inoffensif pour le consommateur.
Les États-Unis veulent autoriser les importations de viande lavée aux acides. Or l’utilisation de ces nouveaux produits de rinçage chimique antimicrobien permet non seulement de dissimuler de mauvaises normes d’hygiène, mais peut également présenter des impacts sur la santé des ouvriers qui manipulent ces produits.
Avec le TAFTA, les Américains pourraient bien vendre du « Champagne » de Californie jusqu’en France, et de la feta aux Grecs !
Les indications géographiques protégées d’Europe permettent de réserver l’appellation de certains produits, tels que le vin ou le fromage, à ceux issus d’une région précise et dans des conditions de production particulières, établies par l’histoire et les savoir-faire locaux. Mais les USA défendent l’utilisation illimitée de ces indications et appellations, sans considération de terroir et de qualité.
3. Agriculture : Nos agriculteurs soumis à une compétition sauvage
Le TAFTA prévoit la suppression des droits de douane qui protègent encore le secteur agricole des importations de produits toujours moins chers en provenance des États-Unis, comme les viandes de bœuf, de porc ou de volaille.
L’arrivée massive de ces viandes bon marché, produites dans des conditions beaucoup moins strictes de protection des travailleurs mais également des animaux, va conduire à la disparition des agricultures familiales qui privilégient la qualité sur la rentabilité. Nos agriculteurs, déjà en difficulté, ne pourront plus défendre un modèle de production exigeant pour la santé comme pour l’environnement.
Le traité vise aussi l’allègement et la simplification maximum des contrôles de qualité aux frontières. La viande américaine peut ainsi contenir des hormones de croissance ou encore être lavée au chlore, mais faute d’inspections sérieuses de part et d’autre de l’Atlantique, elle pourrait malgré tout rentrer sur les marchés communautaire. .
4. Environnement : Un boulevard ouvert aux entreprises extractives
Les puissances occidentales, sous la pression des lobbies économiques, refusent d’admettre l’urgence climatique. Il n’est donc pas surprenant que les négociateurs du TAFTA ne prennent aucun engagement sérieux à lutter contre le changement climatique et à protéger l’environnement.
Les conséquences pourraient être terribles. Dans le cadre du traité de libre-échange entre les États-Unis et le Canada, la province du Québec s’est vue attaquée par une filiale américaine de la société canadienne « Lone Pine Ressources » parce qu’il avait interdit la fracturation hydraulique sur son sol, une technique dangereuse pour l’environnement et utilisée dans l’exploitation des gaz de schistes. L’entreprise réclame 250 millions de dollars à Montréal.
TAFTA, grâce aux mécanismes de règlement des différends Investisseur-État, augmente le risque que des entreprises américaines fassent pression sur les pays européens qui limitent l’exploitation des gaz et pétroles de schistes, dont la France et qui s’attacheront plus généralement à des règles et des lois environnementales contraignantes pour les entreprises, y compris celles qui visent à limiter les émissions de gaz à l’origine du changement climatique. L’accord, s’il est conclu dans les conditions actuelles, renforcera aussi l’exploitation outre-Atlantique des pétrole et gaz de schiste. En effet, sous couvert de « sécurité énergétique », l’UE souhaite accroître la part d’hydrocarbures importés en provenance des États-Unis, au lieu de favoriser le financement d’une politique ambitieuse de transition écologique basée notamment sur le développement local des énergies renouvelables.
5. Service public… Service privé ?
Le TAFTA risque d’ouvrir une grande partie des services à la concurrence des entreprises de part et d’autre de l’Atlantique.
En France, par exemple, les choix de protéger et de subventionner un certain nombre de secteurs comme l’éducation et la santé pourraient être remis en cause. Cela découle de l’obligation faite à chaque pays signataire de traiter tous les investisseurs et les entreprises sur un pied d’égalité, quelque soit leur nationalité. Ce principe du « traitement national » se traduira par une difficulté croissante, voire une impossibilité, de réserver les aides de l’État aux services publics locaux et à l’économie sociale et solidaire (petite enfance, insertion, bien-être des seniors, énergie locale...) qui assure pourtant des fonctions de cohésion sociale et qui fournit nombre d’emplois dans les territoires.
La concurrence potentielle d’opérateurs économiques cherchant la rentabilité et la réduction maximale des coûts risque en outre d’encourager la dégradation de la qualité des services.
Enfin TAFTA gèlera le niveau de libéralisation défini lors de sa signature. Il sera presque impossible de ramener un secteur dans le domaine public s’il a été offert à la libéralisation. Par exemple, comme lorsque la ville de Paris, n’étant plus satisfaite de la gestion privée déléguée à Suez et Veolia, a décidé de remunicipaliser ses services de distribution et de traitement de l’eau.
6. Droit du travail : une mise en concurrence acharnée des travailleurs
En signant un traité de libre-échange qui « simplifiera » la totalité des échanges commerciaux (biens, services, capitaux, investissements,...) avec les États-Unis, les Européens vont être poussés à restreindre les obligations légales et réglementaires des entreprises qui opèrent dans l’UE. Les conséquences sur la vie des salariés vont être très importantes, puisque les États-Unis n’ont pas ratifié 6 des 8 conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT). Salaire minimum, protection sociale, retraite, horaires de travail, congés payés,... : toutes ces conquêtes sociales fondamentales sont ainsi menacées.
À la différence des précédents traités qui ne se limitaient qu’à la libéralisation des échanges de marchandises, et donc n’avaient de conséquences « que » sur les salariés de l’industrie, ce nouveau traité s’attaquera à l’ensemble des secteurs économiques, y compris celui des services, qui représente près de 80% des salariés en France. La concurrence ouverte poussera à la réduction des coûts sociaux, à la dégradation des prestations et à la précarisation de tous les travailleurs.
7. Culture : la fin de « l’exception » et de la diversité culturelles
Depuis toujours, le gouvernement français proclame qu’il protège les échanges de biens culturels du commerce non régulé, invoquant pour ce secteur une « exception ». Il a réaffirmé cette volonté dans le cadre du TAFTA, mais la réalité invalide ces promesses.
Or, l’enjeu est cette fois-ci de taille, puisque les États-Unis n’ont pas ratifié la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Et sont évidemment, notamment dans le cinéma, la musique, les jeux vidéo, etc. en position très dominante. La libéralisation de ce secteur leur permettra par exemple de remettre en cause les subventions publiques à la production culturelle en langue française ou encore d’exiger la fin des quotas de diffusion. C’est toute la spécificité et la diversité culturelle en Europe qui est menacée de disparaître face à la force de frappe d’ Hollywood.
Depuis 2013, les tractations sont menées par la Direction générale du commerce de la Commission européenne, c’est à dire par une institution dont les membres ne sont pas élus. Ces négociations demeurent largement secrètes malgré les maigres efforts de communication consentis face à la mobilisation citoyenne, qui s’apparentent plus à un exercice de relations publiques qu’à une démarche réellement démocratique.
Le gouvernement français soutient officiellement la signature d’un traité. S’il a affirmé vouloir l’encadrer par des garde-fous, notamment dans le domaine de la culture, ses propos ont souvent été démentis par les négociateurs européens, qui ont affirmé à plusieurs reprises qu’aucun domaine n’était a priori exclu des discussions. Sa position quant au mécanisme de règlement des différends investisseurs-États est par ailleurs très ambivalente ; s’il a officiellement affirmé qu’il ne le soutenait pas, il ne montre aucune intention défensive au sein du Conseil ; ses récentes propositions de réforme de l’arbitrage d’investissement se gardent de remettre son principe même en question, et se bornent à des améliorations techniques.
La mobilisation citoyenne est donc cruciale pour empêcher que ce traité soit signé et ratifié par le Parlement européen et les parlements des États en Europe.