À nous les banques ! Pour une finance au service de la société

jeudi 3 mars 2011, par Attac France

Les banques jouent un rôle crucial et indispensable dans la vie économique. L’attribution du crédit c’est comme la circulation du sang dans l’organisme : une nécessité vitale. Lors de la crise de 2008, il a fallu sauver les banques pour éviter l’effondrement brutal de l’économie, l’explosion du chômage et de la misère. Le chômage a bien sûr fortement augmenté, mais la récession ne s’est pas transformée en dépression. Le prix payé par la société pour les dérives du système financier a néanmoins été élevé : au-delà du coût du sauvetage des banques elles-mêmes, très variable selon les pays (énorme au Royaume-Uni et en Irlande, moins élevé en France), la récession a coûté 7 à 10 % de la richesse créée en Europe. Surtout, une évidence s’est désormais imposée : le crédit et la monnaie sont des biens publics, on ne peut pas les laisser dans les mains d’actionnaires privés d’autant plus irresponsables qu’ils savent que l’État les sauvera en cas de problème. C’est pourquoi, pour Attac, le système bancaire doit être entièrement socialisé, c’est-à-dire contrôlé par les pouvoirs publics et les citoyens organisés. Lors de la prochaine crise bancaire, cette vérité s’imposera, et nous la proclamons déjà : les banques sont à nous, donc : à nous les banques !

Les banques, principaux acteurs des crises financières

Les banques étasuniennes ont une grande part de responsabilité dans la crise financière globale qui a commencé en 2007 par le krach de l’immobilier aux États-Unis. Encouragées par le laxisme des instances de régulation vis-à-vis de la sphère financière, et poussées par l’appât du gain, les banques ont incité les ménages à s’endetter au-delà de leurs capacités pour acheter des logements ; elles ont ensuite transformé leurs crédits en titres (c’est la titrisation) pour les revendre à des investisseurs dans le monde entier. Lorsque la Fed (banque centrale des États-Unis ) a relevé les taux d’intérêt, les ménages sont devenus insolvables car leur dette était à « taux variables », c’est-à-dire très bas au départ, voire nuls, avant de grimper à des niveaux insoutenables. La valeur des créances immobilières s’est alors effondrée, ce qui a mis en difficulté les banques et les investisseurs qui détenaient ces créances. Les banques ont alors fait expulser les ménages insolvables pour vendre leurs maisons afin de se faire rembourser, jetant ainsi à la rue plusieurs millions de personnes. Le point d’orgue de la crise financière – la plus profonde depuis 1929 – a été la faillite d’une grande banque étasunienne, Lehman Brothers, en septembre 2008. En effet, de nombreuses banques lui avaient prêté sans garantie de l’argent qu’elles ont perdu en grande partie. En France, ces banques sont BNP Paribas (qui avait prêté 405 millions d’euros à Lehman Brothers), la Société générale (479 millions d’euros), le Crédit agricole (270 millions d’euros) et Dexia (350 millions d’euros). En Espagne, en Irlande, en Islande, au Royaume-Uni, en Belgique, en France, en Allemagne aussi, les banques ont été victimes de leurs prises de risques excessives. Les autorités publiques sont intervenues massivement pour éviter une « crise systémique », c’est-à-dire un effondrement global du système bancaire mondial dont les conséquences économiques et sociales auraient été considérables. Les banques centrales – jouant leur rôle de prêteur en dernier ressort – ont injecté des liquidités en urgence dans les banques en difficulté ; de leur côté, les États ont renfloué les banques en leur apportant des fonds propres, procédant à leur nationalisation dans certains pays (Royaume-Uni, Irlande, Islande).

Ça continue comme avant !

Les banques n’ont pas modifié leur comportement après la crise des subprimes. Bien au contraire ! Une fois remises sur pieds, grâce à l’argent du contribuable et le plus souvent sans aucune contrepartie, comme ce fut le cas en France, elles ont repris leur activité comme avant, comme si rien ne s’était passé ! Elles se sont à nouveau lancées dans des opérations spéculatives sur des nouveaux marchés ; en 2010 elles ont recommencé à spéculer sur les matières premières, notamment agricoles, dont elles avaient déjà contribué à faire monter les prix en 2008, poussant à la famine des populations entières dans les pays les plus pauvres. Début 2010, les banques se sont mises à spéculer contre les pays européens les plus endettés, à commencer par la Grèce et l’Irlande, provoquant une crise grave au sein de la zone euro. L’aide apportée aux banques par les banques centrales et les États a été utilisée pour spéculer contre les pays européens que leur dette publique rendaient fragiles vis-à-vis des marchés financiers. La finance a mordu la main qui l’a secourue. Les banques privées d’Europe occidentale ont une très lourde part de responsabilité dans l’endettement excessif de pays comme la Grèce, et dans les dérives qui ont provoqué la récession, la crise et donc l’envolée des déficits publics. Elles ont utilisé l’argent que leur prêtait massivement et à bas coût la Banque centrale européenne pour augmenter leurs prêts à des taux de plus en plus élevés, pour faire des profits encore plus importants. Et quand les banques ont pris peur face à la situation qu’elles avaient contribué à créer de la Grèce à l’Irlande, du Portugal à l’Espagne, les autorités monétaires et politiques se sont de nouveau portées à leur secours en créant un « fonds européen de stabilité financière » destiné à permettre aux pays surendettés de continuer à payer leur dette rubis sur l’ongle. Cette opération de soutien aux banques qui détenaient des obligations des États attaqués a été présentée comme une action de sauvetage de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal ! D’ailleurs, les plans de « sauvetage » laissent pantois : le taux de l’aide accordée à la Grèce en mai 2010 était d’environ 5,2 %, il passe à près de 6 % pour l’Irlande en septembre. Dans le même temps, la Banque centrale européenne fournit des liquidités aux banques à un taux d’environ 1 % ! Les groupes bancaires français sont parmi les plus actifs dans le marigot de la finance. Société générale a annoncé que ses bénéfices de 2010, estimés à 3.9 milliards d’euros, sont six fois supérieurs à ceux de 2009, malgré une perte estimée à 625 millions d’euros sur les « actifs toxiques » liés aux crédits immobiliers américains à risques dits subprime. Près de la moitié des résultats de Société générale proviennent des activités de marché et spéculatives de la BFI (banque de financement et d’investissement). BNP-Paribas, autre fleuron de la finance française, a dû fermer dans la plus grande discrétion deux de ses fonds spéculatifs aux noms ronflants de Serenity et Oppurtunity, domiciliés au Luxembourg, et dont les actifs à hauts risques ont perdu leur valeur. Ce n’est pas la première fois que BNP-Paribas se trouve dans une telle situation. Le 8 août 2007, la banque avait déjà annoncé la fermeture brutale de trois fonds gavés d’actifs toxiques provenant des crédits immobiliers étasuniens à hauts risques. L’annonce de cette fermeture avait suscité un vent de panique qui amena la Banque centrale européenne à intervenir pour injecter quelque 95 milliards d’euros. C’était le début de la crise des subprimes en France et en Europe…

Les banques, dures pour les pauvres, tendres pour les riches

La crise des subprimes aboutit à la saisie, ordonnée par les banques, de centaines de milliers de maisons (près d’un million en 2010 !) reprises à des emprunteurs insolvables : des ménages pauvres, des chômeurs, des salariés précaires, des femmes élevant seules leurs enfants... Un scandale a éclaté devant les révélations de la presse montrant que les banques avaient mis en place des « machines à signer » les dossiers d’expulsion, et ne respectaient même pas les procédures légales. Mais il n’y a pas qu’aux États-Unis que les banquiers font des profits sur la pauvreté. Les frais bancaires pèsent ainsi souvent de façon disproportionnée sur les clients à bas revenus. Selon l’UFC Que Choisir, avec une hausse de plus de 28 % en 5 ans, « les banques ont concentré l’augmentation tarifaire sur les incidents de paiement, donc sur les consommateurs les plus fragiles ». Un récent rapport officiel 2 sur la tarification des services bancaires montre que les crédits immobiliers, qui ne concernent évidemment pas les clients aux revenus les plus faibles, sont proposés quasiment à perte par les banques, mais que cet effort pour attirer les clients aisés est compensé « par la tarification de la banque au quotidien (gestion du compte, moyens de paiement, gestion des incidents), en particulier par les cotisations de carte bancaire et par les forfaits (packages) ; qui sont beaucoup plus développés que dans le reste de l’Europe et concernent un Français sur deux ». Le même rapport critique plus précisément « le poids important que la tarification des incidents et les commissions d’intervention peut représenter pour les consommateurs les plus fragiles » : le moindre découvert non seulement coûte très cher en agios, mais donne lieu à d’ exorbitantes commissions d’intervention forfaitaires. Sans même parler des crédits revolving, proposés par les banques ou par les institutions de crédit à la consommation (Cetelem et Cofinoga, filiales de BNP Paribas ; Cofidis, filiale du Crédit Mutuel ; Sofinco et Finaref, filiales du Crédit agricole...). Ces crédits à la consommation, proposés souvent sans aucune étude de solvabilité, sont très prisés de nombreux ménages pauvres qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois et s’endettent ainsi chaque mois davantage pour vivre. La spirale du surendettement les menace d’autant plus que les taux d’intérêts pratiqués par ces organismes sont usuraires : fin 2010 le taux effectif moyen (TEM) des crédits permanents était de 15,86 % pour un montant emprunté inférieur ou égal à 1 524 euros, et de 14,45 % pour un montant supérieur à cette somme ! Face à ces dérives, le gouvernement s’est contenté d’imposer la « transparence » : les banques doivent envoyer une fois par an à leurs clients un relevé des frais bancaires subis. La hausse des tarifs, manifestement coordonnée entre les acteurs bancaires, peut donc continuer. L’inégalité concerne aussi le financement des entreprises : une étude de l’Observatoire européen des PME indique que le coût d’emprunt pour les PME de la plupart des pays européens est d’un ou deux points supérieurs à celui des grandes entreprises. La différence de taux tient en partie au risque plus élevé de faillite des PME, mais est également liée à leur pouvoir de négociation moins important résultant de la faiblesse de leur pouvoir économique par rapport à ces mastodontes que sont aujourd’hui les groupes bancaires. Les salariés des banques sont en première ligne dans cette politique prédatrice menée par les établissements bancaires contre une partie de leur clientèle. Ils doivent proposer des produits financiers à des clients qui n’en ont pas nécessairement besoin. Ils doivent inciter les précaires à prendre des crédits revolving qui risquent de les enfoncer encore davantage. Ils doivent appliquer des frais bancaires et des interdictions de compte à des personnes en grande difficulté. Ils sont victimes de l’agressivité de clients exaspérés par les pratiques des banques. La souffrance au travail concerne particulièrement les salariés des banques, qui doivent souvent faire des choses qu’ils désapprouvent.

Les banques épargnées par le G20

Le G20 a été créé en 2008 pour faire face à la crise et réguler la finance mondiale. L’objectif était ambitieux au départ, à en juger par la déclaration sur les banques des ministres des finances du G20 réunis à Londres le 5 septembre 2009 : « Nous, Ministres des Finances et Gouverneurs de banques centrales du G20, réaffirmons notre engagement à renforcer le système financier pour éviter la prise de risque excessif, les crises futures et soutenir la croissance durable ». Le G20 de Londres a annoncé son intention de s’attaquer au problème posé par l’existence de grands groupes bancaires et financiers qu’il a qualifiées d’« entités systémiques » – car celles-ci sont susceptibles, par leur défaillance, d’engendrer une crise globale (systémique) du système bancaire. Ces acteurs sont dits « too big to fail » (trop gros pour faire faillite) : leur mise en faillite peut entraîner une série d’autres faillites en cascade et conduire à un risque de catastrophe globale, comme celle frôlée de justesse lors de l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008. Ces acteurs sont également dangereux pour les déposants, car leur activité spéculative sur les marchés peut conduire à des pertes qui empêchent le remboursement des dépôts bancaires et peuvent créer des paniques chez les clients. Le G20 de Londres a créé une nouvelle institution internationale : le Conseil de stabilité financière, dont l’une des missions est de traiter ce problème des « entités systémiques ». Jusqu’ici aucune décision n’a été prise. La raison est simple : au G20, comme aux États-Unis ou en Europe (voir plus loin), la pression du lobby bancaire a bloqué toute velléité des autorités publiques de prendre une mesure à la hauteur des enjeux, telle la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement, mesure imposée par Roosevelt en 1933 (Glass-Steagall Act), et abrogée par Clinton en 1999. Cette séparation apparaît pourtant plus nécessaire que jamais aujourd’hui, pour deux raisons au moins. Cela réduirait la taille gigantesque, et donc le pouvoir excessif, des conglomérats qui dominent la finance en scindant ceux-ci en plusieurs entités. Cette mesure permettrait par ailleurs de limiter les prises de risque par les établissements bancaires qui reçoivent les dépôts des particuliers et des entreprises et leur attribuent des crédits. Ce qui mettrait fin à la situation actuelle où les banques, plombées par leurs activités spéculatives, se révèlent réticentes à répercuter sur leurs clients les baisses de taux d’intérêts accordées par les banques centrales, et sont beaucoup plus frileuses pour l’octroi de crédits aux PME.
La « moralisation » des bonus des traders : une mascarade Le G20 de Pittsburgh (2009) a décidé de réguler les bonus des traders et des dirigeants de banques. Il faut dire que les opinions publiques sont scandalisées quand elles voient que les banques, à peine sauvées du gouffre par les États, continuent à verser à leurs traders et à leurs dirigeants des bonus se chiffrant en milliards d’euros et de dollars. Mais en fait le G20 ne fait que proclamer des grands principes généraux. « Éviter les bonus garantis sur plusieurs années » (étrange aveu que la reconnaissance de ces bonus garantis, alors que les banques légitiment ces bonus par leur caractère aléatoire supposé motiver les traders !), « faire en sorte qu’une partie significative (?) de la rémunération variable soit différée » pour éviter des prises de risque de trop court terme, « limiter la part variable des rémunérations quand elle est incohérente avec une saine capitalisation »... ces recommandations vagues n’ont de l’avis général guère modifié les politiques de bonus des grandes banques, dont les dirigeants aiment à invoquer la concurrence entre traders pour verser à ceux-ci – et se verser par la même occasion – des bonus extravagants. Aux États-Unis, Barack Obama s’est refusé à plafonner les bonus. En France et au Royaume-Uni, les gouvernements ont taxé les bonus en 2009, pour inciter les banques à les réduire. Cela ne semble pas avoir fonctionné du tout, puisqu’au contraire les montants sont en hausse 3. En juillet dernier, le Parlement européen a voté une réglementation visant à étaler dans le temps le versement du bonus et à plafonner son montant sur la base du salaire fixe : un trader ne pourrait pas par exemple toucher des bonus qui dépassent deux, trois ou quatre fois son salaire fixe. Mais l’Espagne, le Royaume-Uni... et la France sont opposés à cette mesure ! Le vote du Parlement risque de rester lettre morte. Même s’il était appliqué, le plafonnement des bonus serait insuffisant pour décourager les prises de risque excessives par les traders et les dirigeants des banques. Une solution radicale, et plus efficace que l’encadrement des bonus, est de rendre les traders et les dirigeants des banques responsables sur leurs biens personnels des pertes liées à des prises de risque excessives et de leur coût pour les contribuables.

La réforme des règles prudentielles appliquées aux banques

Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a pour fonction d’élaborer des règles dites « prudentielles » susceptibles d’inciter les banques à se protéger préventivement contre leurs risques futurs. Il a annoncé en septembre 2010 une réforme visant à augmenter les ratios obligatoires de fonds propres des banques (réforme Bâle 3). Il s’agit d’augmenter les exigences en ressources de long terme (principalement des actions et des profits non distribués), en proportion du total des actifs risqués figurant à leur bilan. L’idée est d’obliger les banques à détenir en permanence davantage de ressources mobilisables pour faire face à d’éventuelles pertes et rassurer les clients et investisseurs. La réforme n’a pas déplu aux banques, bien au contraire 4. Elle est moins rigoureuse que prévu, et ne s’appliquera qu’en 2019. Elle aura fondamentalement les mêmes effets pervers que le dispositif précédent (Bâle 2), en mettant encore plus les banques sous la domination des marchés (où elles puisent leurs fonds propres). Elle incite également les banques à transférer leurs risques à des investisseurs moins réglementés, ce qui – loin de réduire les dangers – est un facteur d’augmentation du risque systémique. D’autres méthodes de régulation des banques existent, plus contraignantes et plus efficaces, qui sont appliquées dans certains pays émergents. Ainsi en est-il des systèmes de réserves obligatoires non rémunérées et progressives imposées sur les crédits bancaires. Cet instrument, manipulé par les banques centrales, qui sont responsables de la stabilité du système financier, aurait pour rôle de freiner les emballements spéculatifs du crédit bancaire, qui sont au cœur des crises financières les plus importantes.

Les taxes sur le système financier écartées par le G20

Là encore le bilan est piteux. À Pittsburgh, en novembre 2009, il avait été décidé que le sommet de Toronto (juin 2010) prendrait des décisions majeures pour faire contribuer le système financier au coût de son sauvetage. Un rapport avait été commandé au FMI, qui l’a présenté en proposant deux taxes : une taxe levée sur les investissements risqués des grandes institutions financières (Financial Stability Tax), et une taxe sur la valeur ajoutée de toutes les banques (Financial Activity Tax – FAT). Les ressources ainsi collectées devaient permettre de financer des « Fonds de résolution » publics destinés à renflouer les banques en difficulté, l’idée étant de faire payer les banques plutôt que le contribuable en cas de nouvelles faillites. Aucune des propositions du FMI n’a été adoptée, chaque pays étant laissé libre de mettre en place son propre système de taxation bancaire. L’Allemagne et le Royaume-Uni l’ont fait, l’Union européenne ne parvient pas à trouver un accord, alors que le Congrès des États-Unis a finalement refusé la « taxe Obama » sur les banques. Ces systèmes de taxation sur les banques soulèvent plusieurs objections. Tout d’abord, ils se présentent comme des compléments aux Fonds de garantie des dépôts existant déjà dans la plupart des pays. Pourquoi ne pas accroître directement les ressources de ces organismes en augmentant le niveau des primes payées par les banques ? Une telle mesure serait bienvenue. En France, le Fonds de garantie ne dispose que d’une réserve de 1,7 milliard d’euros pour assurer 1 200 milliards d’euros de dépôts, soit 0,14 % du montant. La cotisation annuelle des banques est ridiculement faible : 80 millions d’euros, soit un prélèvement de 0,007 % des dépôts… En second lieu, on peut penser que ces taxes sur les institutions financières, dont les taux sont faibles, ne modifieront pas les comportements de prise de risque ; bien au contraire, sachant que ces ressources fiscales nouvelles existent désormais à l’échelle internationale pour les renflouer en cas de difficulté, les entités systémiques seront plutôt incitées à prendre plus de risques ! En réalité, le seul instrument fiscal international efficace pour limiter les comportements spéculatifs est constitué par les taxes globales sur les transactions financières (TTF) effectuées sur les différents marchés de la finance globale : marché des changes, bourses, marchés des produits dérivés. Environ 6 000 milliards de dollars sont échangés chaque jour sur ces marchés, dont 4 000 milliards sur le marché des changes. À la différence des taxes sur les banques, les TTF auraient un impact désincitatif sur les comportements de spéculation. Reprenant une idée de Keynes, James Tobin avait proposé en 1972, au moment de la crise du système monétaire international, de taxer les transactions de change pour « jeter du sable dans les rouages trop bien huilés de la finance internationale ». Cette proposition de TTF, élargie à toutes les transactions financières, initialement proposée par le mouvement altermondialiste, est aujourd’hui reprise par des responsables politiques 5 et par certains professionnels 6. Elle est à nouveau à l’agenda du G20 de 2011 sous présidence française …

Les lobbies bancaires et financiers bloquent les réformes

Comment expliquer que, trois ans après le début de la crise et la création du G20, peu de réformes aient été décidées et appliquées, ce qui permet aux banques de continuer à faire leur « business as usual » ? Cette absence de réformes significatives s’explique en grande partie par la puissance et la capacité d’obstruction des lobbies bancaires et financiers. Aux États-Unis, le nombre de lobbyistes employés par l’industrie financière et bancaire a augmenté de 54 % au cours des trois premiers trimestres 2010 par rapport à 2009. Entre janvier et septembre 2010, pas moins de 3 659 lobbyistes et 720 agences de lobbying ont travaillé pour des entreprises qui ont fait pression explicitement sur le projet de loi Dodd-Frank (voir encadré ci-dessous). Que dire, au final, de ces réformes voulues par les démocrates ? Le lobby de l’industrie financière et bancaire est un des plus féroces qui soient et ses dirigeants ont le bras long. Les dirigeants de conglomérats financiers sont très proches du pouvoir politique. Aux États-Unis, les récents secrétaires d’État au Trésor proviennent du monde bancaire et y retourneront. En France, les élites politiques et financières sortent des mêmes écoles et entretiennent d’étroites relations entre elles, comme de récentes affaires l’ont montré … Georges Pébereau, le « parrain » de la banque française, est le conseiller officieux de Nicolas Sarkozy pour tout ce qui touche la régulation bancaire. C’est lui qui l’a convaincu de sauver les banques françaises sans prendre de participations dans le capital : l’ État a ainsi perdu l’occasion de prendre le contrôle de ces banques ; et même s’il avait revendu ses actions après avoir sauvé les banques, il aurait quand même empoché une plus-value estimée par la Cour des comptes à 5,8 milliards d’euros. Grâce à M. Pébereau les banques sont restées dans les mains et les milliards dans les poches des actionnaires privés... Les représentants de l’establishment financier n’ont de cesse de dénigrer l’utilité de la régulation, arguant que l’accumulation de mesures contraignantes pénaliserait à terme le financement de l’économie. C’est ainsi qu’ont été sérieusement édulcorées toutes les réformes récentes, qu’il s’agisse des prudentielles dites Bâle 3 appliquées aux banques, ou de la nouvelle loi étasunienne ( Dodd-Frank Act ).

La société a besoin de banques… alternatives

Les banques sont indispensables à l’économie et à la société car elles remplissent une double fonction : elles distribuent des crédits et, en faisant ces crédits, elles créent de la monnaie. L’opération de crédit est essentielle car, en apportant temporairement des ressources aux entreprises, elle permet à celles-ci de financer le décalage inévitable entre l’engagement des dépenses nécessaires à la production (salaires, machines, matières premières) et la vente ultérieure de la production. De même, le crédit permet au particulier d’accéder à la propriété de son logement en anticipant sur ses revenus futurs. En créant de la monnaie, les banques offrent aux agents économiques des instruments de paiement, dont la valeur est garantie, qui facilitent les échanges entre les agents économiques. Le problème posé par les banques d’aujourd’hui est qu’elles utilisent leur pouvoir de distribuer du crédit et de créer de la monnaie dans une pure logique de rentabilité financière, et non dans l’intérêt général. Il y a eu un dévoiement de la fonction bancaire par le système capitaliste. Une conception alternative de la banque est donc nécessaire. Théoriquement, cette banque alternative, fonctionnant dans l’intérêt général, existe dans notre société, mais sa place est marginale par rapport à celle des banques capitalistes. Ce sont les banques coopératives, appartenant au secteur de l’économie sociale. La plupart des grandes banques dites coopératives (ou mutualistes) comme le Crédit agricole ou le groupe Banques Populaires Caisses d’Épargne (BPCE), ont perdu l’idéal mutualiste et se comportent désormais comme les banques capitalistes. Crédit agricole a décidé de coter en bourse une partie de ses activités à travers sa filiale CASA, Crédit agricole société Anonyme. Les Caisses d’Épargne et les Banques Populaires, soi-disant mutualistes, ont créé une filiale commune Natixis, qui a été ruinée par son comportement spéculatif lors de la crise des subprimes. Natixis a dû être sauvée par l’État qui a créé BPCE (et nommé François Pérol, proche de Sarkozy, PDG de ce nouveau mastodonte). Mais certains établissements ont l’esprit coopérateur. C’est le cas de la NEF qui s’emploie à la construction d’une finance alternative et solidaire en s’appuyant sur la participation de citoyens-épargnants (cf encadré). Nous devons soutenir toutes les expériences innovantes qui insèrent les banques dans l’économie sociale. L’objectif est de mettre les banques au service de l’intérêt général et de lutter contre l’exclusion bancaire des populations les moins favorisées.

Socialiser les banques

La monnaie et le crédit étant des biens publics, la création monétaire et l’attribution du crédit doivent être contrôlées par la collectivité et ne peuvent être décidées par des acteurs privés en fonction de seuls critères de rentabilité. Le système bancaire ne doit donc pas être régulé par le marché et la concurrence. Les États ont apporté des financements publics massifs aux banques pour sauver ces dernières de la faillite à deux reprises depuis 2007, directement à la suite de la crise des subprimes, puis indirectement en soutenant les pays attaqués par la spéculation lors de la crise des dettes souveraines en Europe. Il en découle que la collectivité publique doit désormais avoir un droit de regard sur le fonctionnement des banques. Nous devons donc exiger la mise en place d’un pôle financier public, notamment à l’échelon européen. Les banques renflouées par les fonds publics devront rapidement être socialisées, c’est-à-dire nationalisées et placées sous le contrôle démocratique des salariés, des citoyens et des pouvoirs publics. Cette socialisation sera d’autant plus efficace qu’elle sera réalisée à l’échelle européenne. Chacun sait que les dettes publiques en Europe sont devenues insoutenables. Il faut les restructurer, et dénoncer la part illégitime de ces dettes, celle qui est due aux baisses d’impôts consenties aux riches, aux déficits provoqués par les crises financières et bancaires. La dénonciation des dettes publiques mettra en difficulté les banques européennes, qui ont massivement souscrit aux obligations d’État et en tirent une bonne part de leurs profits. Les banques déstabilisées par la dénonciation des dettes publiques devront être mises en faillite et nationalisées, sans indemnisation des gros créanciers et actionnaires qui ont accumulé les profits en jouant avec le feu. Les petits épargnants, eux, verront leurs dépôts et leur épargne garantis. Quant aux banques de dépôt, une prise de conscience importante se fait dans l’opinion publique pour exiger qu’elles soient mises au service des citoyens, pour leur interdire de prendre des positions spéculatives et d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux. Il faut profiter de cette prise de conscience pour séparer nettement les banques de dépôt et les banques d’affaires, mesure de salut public que les autorités européennes, sous la coupe des lobbies bancaires, se refusent à envisager.

Désarmer les marchés

Les gouvernements n’ont eu de cesse, depuis le début de la crise, que de « rassurer les marchés ». C’est pourquoi aucune réforme radicale n’a été appliquée pour stopper la logique spéculative et prédatrice des acteurs financiers. C’est également la raison pour laquelle toutes les politiques de sauvetage des banques et de rigueur budgétaire ont cherché à préserver en priorité les intérêts des acteurs bancaires et financiers, et ont fait porter intégralement le fardeau des ajustements sur les salariés et les contribuables. Il est essentiel d’opérer une rupture radicale avec ces politiques socialement inacceptables, et de remettre la finance au service de la société. Ce qui implique de désarmer les marchés, pour leur enlever leur pouvoir de nuisance. La principale source du pouvoir de la finance globalisée est la liberté totale de circulation des capitaux à l’échelle internationale, qui permet aux détenteurs du capital financier de mettre en concurrence non seulement les entreprises et leurs salariés, mais également les systèmes fiscaux et sociaux des pays de la planète, dans le but de tirer vers le bas les salaires, les taxes, la protection sociale… Les banques sont les principaux acteurs de la mobilité, et donc de la domination, du capital financier. Il est donc essentiel de leur retirer les instruments dont elles se servent dans ce but. Plusieurs mesures sont prioritaires à cet égard : • interdiction de détenir des filiales dans les paradis fiscaux et judiciaires (PFJ) : cette mesure limiterait la capacité de spéculation des banques et porterait un coup sérieux aux PFJ dont les conglomérats financiers sont les principaux acteurs, avec les autres entreprises transnationales non financières ;

  • interdiction de financer les fonds spéculatifs, en leur prêtant ou en prenant des participations dans leur capital : les épisodes récents de la crise ont montré que les fonds spéculatifs sont l’un des principaux instruments utilisés par les grands groupes bancaires pour spéculer et prendre des risques qui mettent en danger la stabilité du système financier ;
  • fermeture des marchés de produits dérivés de gré à gré et interdiction des ventes à découvert.

Une autre conception de la politique monétaire et des banques centrales

Le rôle des banques centrales s’est transformé au cours des dernières décennies. Les banquiers centraux d’après-guerre étaient keynésiens en ce qu’ils cherchaient à atteindre simultanément les deux objectifs de stabilité monétaire (inflation faible) et de plein emploi. Puis, avec l’avènement de la mondialisation néolibérale à partir de la fin des années 1970, est apparue une génération de banquiers centraux monétaristes et conservateurs focalisés sur la lutte contre l’inflation. L’un des changements majeurs a été l’institution de l’indépendance des banques centrales par rapport au pouvoir politique, supposé avoir un biais inflationniste, ce qui n’est pas démontré. La crise en cours a montré que cette conception de la banque centrale est inadaptée. La BCE représente cette vision aujourd’hui dépassée de la banque centrale. Le problème majeur des économies actuelles n’est pas l’inflation (il y a plutôt un risque de déflation), mais plutôt celui de l’instabilité de la finance et des systèmes bancaires, d’une part, et du financement de la transition vers une société écologique et solidaire, d’autre part. L’une des conséquences de la crise est d’avoir contribué à élargir le rôle des banques centrales. Il est désormais admis que leur mission ne se limite pas à l’objectif de stabilité monétaire. Deux ruptures importantes s’imposent par rapport au fonctionnement actuel des banques centrales. Tout d’abord, l’indépendance des banques centrales dans sa forme actuelle doit être remise en cause. Jusqu’à maintenant, cette indépendance était définie uniquement par rapport au pouvoir politique, et aucunement par rapport aux marchés et aux acteurs financiers. Il convient d’inverser cette conception. L’indépendance des banques centrales par rapport au pouvoir politique est incompatible avec l’élargissement de leurs missions dans la société, qui implique qu’elles soient responsables devant les institutions démocratiques et la société civile (citoyens, usagers, syndicats). En revanche, pour remplir efficacement leur mission de contrôle du système bancaire et financier, les banques centrales doivent devenir indépendantes des marchés et des lobbies. S’inscrit dans cette nouvelle approche l’application de mesures contraignantes sur les banques, telles que les réserves obligatoires sur les crédits, dont le niveau devrait être fonction de l’utilité sociale et environnementale des financements. Quand elle attribue un crédit à un projet viable de développement des énergies renouvelables, la banque n’aura qu’un montant faible de réserves à constituer ; il en ira tout différemment pour des projets industriels polluants ou des crédits à des fonds spéculatifs. Une dimension essentielle de la mission de stabilité financière des banques centrales, remise à l’ordre du jour par la crise, est de prévenir les risques systémiques, c’est-à-dire les risques d’effondrement global des systèmes bancaires, par la mise en œuvre de politiques dites « macro-prudentielles ». C’est dans ce but que les États-Unis et l’Union européenne viennent de se doter de « conseils du risque systémique », supposés surveiller l’évolution des systèmes financiers à l’avenir pour agir d’une manière préventive en cas de risque systémique (par exemple l’apparition de bulles immobilières, boursières ou sur les marchés de produits dérivés). Mais rien n’indique que les banques centrales cherchent à lutter contre le gonflement actuel des bulles spéculatives sur les marchés de produits dérivés de matières premières et agricoles. Le deuxième changement à mettre en œuvre concerne la création monétaire par les banques centrales et par le système bancaire. Les statuts actuels de la BCE lui interdisent tout financement par la création monétaire des déficits publics. Toutefois, cette règle a été largement enfreinte par la BCE, et la Fed américaine à l’occasion de la crise, puisque ces banques centrales ont massivement acheté de la dette publique, créant de ce fait de la monnaie. L’objectif doit être de mettre la création monétaire du système bancaire dans son ensemble (banques centrales et banques commerciales) au service des acteurs publics et privés poursuivant des objectifs économiques, sociaux et environnementaux d’intérêt général. Ce qui serait une rupture radicale par rapport à la période récente, au cours de laquelle la plus grande part de la création monétaire a servi à alimenter les opérations financières et la spéculation.
Régulation des banques : quelles réformes ? Nous devons nous opposer aux pseudo-réformes proposées par le G20 et nos gouvernements dont le seul but est de rassurer les marchés ! Le tableau ci-dessous liste nos contre-propositions qui se situent dans une logique opposée : désarmer les marchés et mettre les banques et la finance au service de la société.

Réformes proposées par le G20 et les autorités aux États-Unis et dans l’Union européenne   Contre-propositions au service d’une finance alternative
Politiques d’austérité pour rassurer les marchés et garantir le remboursement des créances détenues par les banques dans les pays européens les plus endettés.   Dénonciation et annulation des dettes illégitimes à l’instar du refus exprimé par référendum par les citoyens islandais.
Politiques de sauvetage des banques en difficulté sans contrepartie.   Nationalisation des banques défaillantes.Constitution d’un pôle bancaire public européen.
Renforcement de la protection des usagers (EU et UE).   Participation des usagers, des salariés et des associations écologiques et citoyennes aux instances de décision et de contrôle des banques commerciales et centrales.
Taxation des banques.   Taxation de l’ensemble des transactions financières.
Encadrement des bonus et des rémunérations des dirigeants (UE).   Suppression des bonus et réduction des écarts de rémunération par la fiscalité directe.Responsabilité des traders et des dirigeants sur leurs biens personnels en cas de pertes liées à la spéculation.
Surcharge en capital pour solvabiliser les banques (Comité de Bâle).   Contrôle du crédit bancaire par des réserves obligatoires et sélectives.
Interdiction du trading pour compte propre (EU).   Séparation stricte des banques de dépôt et des banques d’investissement.
Limitation des participations dans le capital des hedge funds (EU).Enregistrement des hedge funds (UE).   Interdiction de tout financement (prêt et participation) des hedge funds par les banques.
Enregistrement des opérations sur les marchés de gré à gré (EU et UE).   Fermeture des marchés de gré à gré.
Classement des paradis fiscaux par niveau de transparence financière (OCDE).   Interdiction aux banques d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux.

Note : EU : États-Unis ; UE : Union européenne Agissez ici et maintenant Finalement, du côté du système bancaire, tout est reparti comme avant, en pire. Beaucoup de citoyens sont exaspérés par cette situation. Mais ils se sentent impuissants à changer le cours des choses. En tant qu’usagers, ils ont besoin de leur banque pour encaisser leurs rémunérations, effectuer leurs paiements et obtenir des crédits. En tant que salariés d’une banque, ils souffrent de conditions de travail dégradées et de rapports tendus avec la clientèle. La plupart des gens pensent que les banques sont plus ou moins toutes gérées de la même façon déraisonnable mais inéluctable, et les dérives de certaines banques coopératives ou mutualistes les confortent dans ce sentiment. Pourtant, comme l’a montré l’écho important de la déclaration d’Éric Cantona dans l’opinion publique, les citoyens sont à la recherche de moyens pour peser sur cette situation. Usagers, salariés et associations, surtout s’ils cherchent à travailler ensemble, peuvent se doter d’outils pour exercer une vraie pression sur les directions des banques et les pouvoirs publics. Ils peuvent favoriser l’émergence de banques solidaires. Ils peuvent développer un vaste débat sur la façon dont devrait fonctionner un système financier au service des besoins de la société.

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