Lutter ensemble : « un potentiel de transformation qui prend du temps mais donne énormément d’espoir »

jeudi 11 avril 2019, par Nicolas Haeringer

Entretien avec Juliette Rousseau, militante, qui vient de publier Lutter ensemble, pour de nouvelles complicités politiques

Dans nos organisations, la question des alliances est une question centrale. Avec qui peut-on s’allier ? Nos alliances sont-elles temporaires ? De longue durée ? Objectives ? De circonstance ? On parle également beaucoup de convergence des luttes. Ton livre, lui, est construit autour de la question des "complicités", ce qui implique de « désapprendre » la manière dont nous envisageons l’unité en politique, et à inventer de nouvelles manières de « nous correspondre ».
La culture politique altermondialiste, qui est encore aujourd’hui ma culture politique, et les appels à la convergence des luttes, comme on peut en entendre régulièrement – autour de Nuit Debout, par exemple – reconnaît l’existence de différents fronts de lutte. Mais la question des identités, de qui porte chacune de ces luttes-là est soumise à une homogénéisation par le haut. Ce qui prend le pas, c’est la nécessité de faire front commun. Front commun au sens d’une dynamique qui viendrait effacer les rapports de dominations internes à cette dynamique. Or la camaraderie ne peut pas effacer les rapports de domination. Cindy Wiesner, du mouvement états-unien Grassroots Global Justice Alliance, explique par exemple qu’elle a dû « forger » des alliances, contractualiser des relations. En commençant par mettre tout le monde autour d’une même table et reconnaître que nous n’avons pas tou·te·s les mêmes resources, les mêmes capacités, la même visibilité. Mais si on veut construire des fronts durables qui fassent sens, qui placent en leur centre les problématiques des personnes qui sont les plus impactées, alors on n’a pas d’autre choix que d’en passer par là : partager les resources, faire attention à la visibilité, etc.
Ça n’existe pas, je crois, dans la culture altermondialiste, dont l’approche consiste à dire qu’on partage des valeurs politiques et un horizon commun – et que partant de là on n’a pas besoin de nommer les différences, de mettre en évidence ce qui peut faire de potentielles divisions entre nous. Je trouve l’exemple que donnait Cindy assez beau : les principes de Jemez, qui définissent les grandes lignes d’un fonctionnement collectif réellement inclusif et démocratique, ont été adoptés en 1996. Elle raconte que plus de 20 ans après l’adoption de ces principes, des organisations s’en sont enfin saisies, pour construire des complicités plus durables, ce qui permet à ces organisations de faire des choses ensemble avec plus de légèreté, plus de facilité. Je trouve cela admirable. On renvoie à un potentiel de transformation qui prend du temps, mais donne énormément d’espoir.

Tu décris comment il faut, en quelque sorte, que chacun·e puisse gagner sa place. « Lutter ensemble » commence souvent par arracher son autonomie à l’intérieur de l’espace des mouvements...
La culture de l’autonomie est très forte dans l’altermondialisme, dans la culture des forums sociaux. Elle est palpable, dans ces espaces. Mais elle se construit souvent au détriment de la possibilité de faire émerger des fronts plus engageants collectivement. Penser l’espace militant non pas à partir de ce qu’il est, à partir de celles et ceux qui sont autour de la table, de celles et ceux dont on est proche, mais à partir de qui on a envie d’y voir… et le construire sur cette base là, est essentiel. Il y a plein d’angles morts dans nos façons de lutter – qui peut accéder à ces espaces ?
Questionner la façon dont on construit nos espaces, se pencher sur ce qui les rend inclusifs ou sur ce qui peut les rendre exclusifs, pour laisser la place à d’autres personnes, implique aussi de réfléchir à la manière d’inclure des personnes qui ne sont pas rompues à la pratique du militantisme telle que nous la concevons.

Tu montres aussi qu’arracher son autonomie se traduit par une valorisation extrêmement importante du « faire ». « Etre en mesure de montrer qu’on est capable de dire ce qu’on dit qu’on fait », comme l’explique l’un·e des personnes que tu as rencontrées…
Un·e jeune militant·e qui rentre dans nos organisations peut trop souvent se retrouver face à des figures militantes importantes, qui instaurent une forme de hiérarchie implicite, fondée sur la reconnaissance, sur le savoir, sur l’expérience. Bien sûr qu’il faut valoriser l’expérience, valoriser des lectures politiques qui sont ancrées dans une longue expérience de lutte. Mais ça ne peut pas se faire en laissant de côté celles et ceux qui arrivent.

P.-S.

Juliette Rousseau, Lutter ensemble, pour de nouvelles complicités politiques, éd.Sorcières/Cambourakis, Paris, novembre 2018.

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