Corée du Nord en Afrique centrale

mardi 19 décembre 2017, par Odile Tobner *

Colonie allemande depuis 1884, le Cameroun passa sous contrôle militaire français et anglais en 1916. Après la fin de la Première Guerre mondiale, il fut placé sous le protectorat de la Société des Nations qui confia des mandats d’administration aux Français et aux Anglais. L’ouest, bordant la frontière avec le Nigeria, fut placé sous la tutelle anglaise, le centre, le sud, l’est et le nord, c’est-à-dire les quatre cinquièmes du territoire et les trois quarts de la population, sous tutelle française. Le 1er janvier 1960, le Cameroun français accède à une pseudo-indépendance entièrement pilotée par la France à travers sa créature Hamadou Ahidjo. On est alors en pleine guerre de répression des indépendantistes de l’Union des populations du Cameroun.

La conférence de Foumban, en 1961, décida du sort du Cameroun anglophone. L’extrême nord anglophone choisit de rejoindre le Nigeria, tandis que la partie sud forma avec le Cameroun francophone un État fédéral. Cet accord, bancal et jamais respecté, passe pour être la source originelle de la crise actuelle. Le 20 mai 1972, par un pseudo-référendum, mais une véritable annexion, le président Ahido proclama la réunification des deux Cameroun en un État centralisé dominé par les francophones. Même si le premier ministre est traditionnellement anglophone, ce sont les présidents francophones Ahidjo puis Biya qui monopolisent tous les leviers du pouvoir, et cela depuis plus de quarante ans.

L’irrédentisme a toujours été vivace dans la population anglophone. Le style de la dictature françafricaine provoque l’exaspération des anglophones, qui sont de fait marginalisés et exclus. En novembre 2016, les avocats, puis les enseignants, élèves et étudiants du Cameroun anglophone se mettent en grève pour protester contre une administration théoriquement bilingue, mais en réalité francophone. Le mouvement s’étend et la population se mobilise pour des journées « villes mortes » dans les deux provinces anglophones. Biya réagit par une répression brutale et fait tirer à balles réelles le 8 décembre sur les manifestants, causant six morts à Bamenda.

Le Consortium de la société civile anglophone et le SCNC (Southern Cameroon National Council) sont interdits le 17 janvier 2017. Les leaders anglophones sont pourchassés et trois d’entre eux, l’avocat Agbor Balla, l’universitaire Fontem Neba et le journaliste Mancho Bibixy, sont arrêtés et traduits devant un tribunal militaire pour terrorisme. Le premier février, jour du procès, le public notamment anglophone et les journalistes se pressent aux portes du tribunal de Yaoundé. Seule la CRTV, radio-télévision d’État, est autorisée à assister à l’audience. Un journaliste de la BBC qui avait rendu compte de cette scène est placé en garde à vue au SED (secrétariat d’État à la défense). Le procès est ajourné.

Après avoir nié l’importance de la protestation anglophone, le pouvoir prétend engager le dialogue. Il a délégué le premier ministre anglophone Philémon Yang à cette tâche. En langage gouvernemental camerounais, « dialogue » signifie ralliement au pouvoir et rien d’autre. Pendant ce temps, la chasse aux activistes se poursuit : arrestations, tortures, disparitions, la répression s’efforce de museler la revendication anglophone. En vain. Le 17 janvier, internet est coupé dans les régions de Buéa et de Bamenda. Les fournisseurs d’accès, Camtel, MTN, Orange, Nexttel, agissent sur instruction du gouvernement, lequel menace de poursuites pour désinformation et diffusion de fausses nouvelles les commentaires des réseaux sociaux. La suppression du réseau de l’internet, qui a duré trois mois, a paralysé toute l’économie dans l’ouest du Cameroun, particulièrement le secteur bancaire, mais est restée sans effet sur une révolte que rien ne semble pouvoir éteindre.

La crise témoigne de la profondeur et de la gravité du malaise politique qui mine le Cameroun tout entier, opprimé par une dictature aussi féroce que corrompue. Un an après son déclenchement, la révolte des provinces anglophones perdure. Le 31 août, Biya ordonne la libération de quelques-uns des leaders et activistes arrêtés et détenus arbitrairement. Concédée comme une grâce, cette libération partielle n’a pas suffi à éteindre l’incendie. Le pouvoir, en effet, n’a rien négocié au sujet des revendications concernant le retour au fédéralisme, souhaité par la majorité modérée des anglophones, voire l’indépendance exigée par la partie la plus radicale d’entre eux.

Le SCNC avait annoncé la proclamation de l’indépendance de l’Ambazonie pour le dimanche 1er octobre 2017. Les autorités décrétèrent un couvre-feu total pour ce week-end. Les manifestants furent cependant nombreux dans les rues, brandissant le drapeau bleu et blanc du nouvel État. Militaires et policiers présents en grand nombre répliquèrent par des tirs meurtriers. Le bilan de ce dimanche est très lourd, 17 tués au moins selon Amnesty International, 22 selon le REDHAC (Rassemblement pour les Droits de l’Homme en Afrique centrale), plus de 30 selon le SDF (Social Democratic Front), uniquement pour le Nord-Ouest, une des deux provinces concernées.

Le SDF, premier parti d’opposition, après avoir connu son heure de gloire en 1992, lorsqu’il gagna dans les urnes la première élection multipartite camerounaise, victoire immédiatement confisquée par le pouvoir qui publia de faux résultats, s’est enfoncé par la suite dans une molle opposition institutionnelle comme partenaire alibi du pouvoir. Le mouvement actuel ne doit rien au SDF, qui est resté muet toute cette année, même s’il tente à présent de prendre le train en marche. De nouvelles organisations et surtout de nouveaux leaders ont émergé.

Biya, qui fait de longs séjours dans son habituelle villégiature de Genève, n’a absolument pas pris la mesure de l’évolution de la situation politique au Cameroun. Il pense, assuré de l’indulgence aveugle de ses protecteurs français, régler le problème comme d’habitude par la violence – 300 morts en 1991 contre les opérations « villes mortes » qui réclamaient une conférence nationale, 150 en 2008 contre les manifestations qui dénonçaient la réforme constitutionnelle instaurant des mandats présidentiels illimités, dans le silence des grands médias français.

Mais les temps ont changé, on ne peut plus juguler totalement l’information. Le Secrétaire général de l’ONU, dans un communiqué publié la veille du 1er octobre, s’est dit « profondément préoccupé par la situation au Cameroun », il appelle à « un dialogue véritable et inclusif ». Le Ministère des Affaires étrangères français, interrogé sur les événements du premier octobre, a répondu : « La France suit avec attention la situation au Cameroun et est préoccupée par les incidents survenus durant le week-end, qui ont fait plusieurs victimes. Nous appelons l’ensemble des acteurs à la retenue et au rejet de la violence. ». Ces réactions a minima, sont franchement indécentes, comparées aux sévères condamnations prononcées contre certains gouvernements.

On attend que la France appelle fermement Biya à ne pas tirer sur des citoyens soutenant de justes revendications, et surtout ne lui en donne pas les moyens, par des conseillers et des équipements, qu’elle suspende par conséquent sa coopération militaire et policière. On attend que l’ONU écoute enfin l’appel d’un peuple pour sa liberté et plaide sa cause auprès du tyran en le menaçant de sanctions, comme elle sait très bien le faire parfois. Rappelons que, le 17 décembre 1952, lors de son Assemblée générale, cette même organisation resta sourde à l’intervention de Ruben Um Nyobè, secrétaire général de l’UPC, qui présenta son plan pour la décolonisation et la réunification du Cameroun. L’ONU préféra confier à la France le soin d’organiser l’accès à l’indépendance. Après le retour d’Um Nyobè au Cameroun, l’UPC fut interdite, son leader pourchassé et assassiné en 1958 par l’armée française, les maquisards exterminés, ouvrant une période, qui dure maintenant depuis soixante ans, de pouvoir arbitraire dictatorial, de terreur et de misère pour le peuple.

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