La guerre contre le peuple

mardi 30 mai 2017, par Jeff Halper *

La guerre ne peut pas être comprise aujourd’hui indépendamment du capitalisme mondialisé en crise. À la différence des guerres du passé, des armées étatiques ne s’affrontent désormais que rarement sur des champs de bataille. Les guerres contemporaines ressemblent plus aux guerres coloniales du passé, des guerres livrées par des États et leurs armées contre des peuples coloniaux pour leur voler leurs ressources. Les puissances coloniales ne s’intéressaient pas à l’existence de ceux qui subissaient leur répression : elles cherchaient simplement à les pacifier, à en faire des instruments passifs d’extraction de leurs propres ressources pour les besoins et les bénéfices de leurs gouvernants métropolitains – et s’ils échouaient, ils les exterminaient.

Avec l’expansion du capitalisme néolibéral au cours des trois dernières décennies comme la seule forme économique mondiale, le rapport métropole-colonie a été reproduit à une échelle globale. Les économies fortes du Global North dominent, déforment et détruisent les économies faibles du Global South, aidées par les plus fortes des économies émergentes dominées par des oligarques qui jouent le rôle d’élite compradore ou collaborationniste au bénéfice de celles du Nord. Alors qu’ils représentent juste 13 % de la population mondiale, les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Australie et le Canada bénéficient de 45 % du revenu du monde. En comparaison, les habitants de l’Inde, l’Indonésie et la Chine rurale, soit 42 % de la population mondiale, n’ont reçu que 9 % du revenu mondial. La moitié de la population mondiale vit avec moins de 2,50 $ par jour. Oxfam a calculé récemment que le 1 % le plus riche possède plus de la moitié de la richesse mondiale, soit le même montant que les 57 % du bas de l’échelle. Comme le néolibéralisme crée d’énormes disparités de revenu et engendre la précarité de l’emploi et l’insécurité financière chez les classes laborieuses et même les classes moyennes, le Global South prend racine dans les villes et même les campagnes du Global North.

Ainsi, la plus grande partie des individus vivant dans le monde sont considérés par le capitalisme de grande entreprise comme une « humanité excédentaire ». Ils ne seront jamais « productifs » dans le sens de produire des marchandises au-delà du niveau de subsistance et ils ne seront jamais des consommateurs significatifs. Au sens précis colonial, ils n’ont un « intérêt » qu’en raison de leur capacité perturbatrice potentielle, soit en s’opposant à l’extraction de leurs matières premières, soit en perturbant le flux régulier des capitaux. Cependant, les gens ne se marginalisent pas ou ne s’appauvrissent pas de bon gré. Effectivement, ils résistent, leur résistance prenant de nombreuses formes : de la passivité dans le travail au sabotage des lignes de production ; de la révolution à la grève ; de la protestation aux attaques violentes ; de la lutte à l’intérieur du système à la non-coopération et au soulèvement ouvert. Mais, aux yeux des élites, toutes ces formes constituent des défis à leur domination, des menaces contre le système capitaliste lui-même.

Mais qui sont les « ennemis » à combattre ? À la différence des périodes antérieures, quand l’ennemi était clair, aujourd’hui les élites sont confrontées à des réseaux amorphes et globalisés d’acteurs non étatiques. Certains comme EI ou Al-Qaida, comme les talibans, Boko Haram ou les milices des seigneurs de guerre en Afrique centrale et de l’Ouest, comme les mouvements de résistance musulmans des Philippines ou même comme le crime organisé, dont les activités chevauchent souvent celles des acteurs politiques bien qu’ils travaillent en réseaux de façon largement clandestine, sont facilement identifiés comme ennemis à cibler. D’autres – le Hamas par exemple, les organisations soutenues par des États comme le Hezbollah ou les Houthis au Yémen, ensemble avec les groupes armés dans le Kurdistan turc ou des forces militaires organisées comme les Peshmerga – ne sont pas qualifiables comme étant des États avec des forces armées, et le combat contre eux prend la forme problématique de « guerres contre les peuples ». Et comment menez-vous la guerre chez vous contre des dissidents qui questionnent la légitimité même de l’ordre global – les militants antimondialistes et écologistes, les Indignés, Occupy, les militants ouvriers, les pauvres et les marginalisés par la race, le niveau de revenu ou le sexe – quand il s’agit d’enfants mêmes de l’Establishment  ? Ou encore des réfugiés et des migrants sans papiers ? Sans parler des exclus au plan mondial, de cette partie majoritaire et croissante de l’humanité qui est structurellement sans importance pour le Nord capitaliste, de ceux qui sont relégués au statut d’humanité « excédentaire ».

1. Le but ultime du capitalisme : la pacification

La pacification, « rendre sûre l’insécurité », qui fait partie intégrante de l’accumulation par dépossession, est le but ultime du capitalisme. L’objectif est de rendre les peuples du monde incapables de résister à la puissance du marché et au règne des classes dominantes. Il fonctionne à trois niveaux.

En premier lieu, la pacification cherche à gouverner de façon bienveillante par la production du consentement, une forme d’autocontrôle que Michel Foucault nomme la « gouvernabilité ». Au moyen d’une logique globale du marché et de l’individu, le capitalisme engendre un mode de vie et des valeurs qui transcendent de façon significative, les barrières de classe, les barrières ethniques, régionales et même religieuses. L’individualisme, le compter-sur-soi, la liberté et la responsabilité individuelle, la nécessité d’être « productif », la croyance que travailler dur mène à une vie meilleure et au « succès » et bien entendu la primauté du marché, tout cela définit la démocratie libérale et, par extension, un « mode de vie » et des valeurs présentés comme universels.

Ce « modèle » capitaliste, ainsi que Foucault et d’autres le remarquent, est actuellement une « technologie de la domination » propice à un ordre social opérant sur les principes du « marché libre », le profit (accumulation) et un minimum de travail salarié. Quand nous l’internalisons, nous devenons autorégulés, nous croyant même « libres ». Cela explique pourquoi tant de personnes de la classe ouvrière, largement exclues du système capitaliste, ne votent pas moins pour des partis capitalistes ou suivent les faits et gestes des riches et des célèbres dans des magazines de luxe. Les riches et les célèbres offrent la promesse de ce que, vous, vous pouvez devenir : ils incarnent à la fois le rêve capitaliste et le prouvent comme étant à la portée de chacun. S’opposer aux inégalités engendrées par le capitalisme a des implications au-delà simplement des classes et des revenus ; cela veut dire s’opposer à tout ce qui nous a été présenté comme essentiel à l’existence humaine, au fait même d’être un être humain. S’opposer au capitalisme a le sens de s’opposer à la vie elle-même. Aussi longtemps que la résistance aux forces du marché et aux logiques qu’elles engendrent continue à exister, ce sont le capitalisme et donc la civilisation qui sont mis en cause. Et pourtant nous savons que l’accumulation par dépossession représente le ressort central du capitalisme. Elle engendre en permanence la résistance et les troubles. L’incapacité d’assurer de façon complète la sécurité d’un capitalisme qui ne peut pas l’être de façon inhérente consubstantiellement, et le fait que ceux qui sont marginalisés ou exclus doivent résister, ensemble avec ceux qui leur apportent leur appui, font qu’une « guerre contre le peuple » généralisée devient un trait permanent du capitalisme. Confronté à un « état d’urgence permanent », le système même dans lequel nous vivons devient sécuritaire. « L’intervention asymptomatique », des mesures préventives chez soi et la guerre préventive hors des frontières trouvent leur justification. La guerre devient endémique, l’état d’urgence est aux commandes. Pacifier l’humanité devient la seule façon d’en finir avec la guerre.

La pacification passe par des procédés insidieux, comme le façonnement des perceptions et des attentes d’une population. Une alerte radiophonique diffusée dans les aéroports du monde entier – « Si vous voyez quelque chose, dites quelque chose » – coopte les citoyens dans la logique policière/sécuritaire de l’État en faisant d’eux des complices. Tout le monde surveille tout le monde et dénonce toute personne suspecte ou objet qui « ne devrait pas être là ».

Puisque la cooptation ne marche que dans certaines limites, le capital compte sur un complexe militaire-sécuritaire-policier-carcéral pour discipliner les individus, le second mécanisme de la pacification. Quand l’oppression augmente et l’ordre social est menacé, le capital recourt à la force et déploie les prisons, les ghettos, le « développement » et des zones isolées « ingouvernables » comme réserves pour contenir et parquer le travail excédentaire (les pauvres) et utiliser leur force de travail bon marché pour faire des profits et pour peser sur les salaires des travailleurs du Global North. Le capitalisme livre une campagne contre-insurrectionnelle permanente, recourant à la fois à la puissance militaire, policière et judiciaire et même celle de la culture, dans un combat commun contre la rébellion et la résistance, que ce soit au plan domestique ou à l’étranger.

Au plan domestique, la pacification est l’affaire de l’État sécuritaire, une version libérale des États policiers plus ouvertement répressifs. Les États sécuritaires sont caractérisés, écrit John Whitehead dans Government of Wolves : The Emerging American Police State, par « la bureaucratie, le secret, les guerres sans fin, une nation de suspects, la militarisation, la surveillance, une forte présence policière, et des citoyens avec peu de recours contre les actions policières. Le mot « police » désigne chez lui l’éventail complet du personnel policier et de surveillance, allant de la police municipale et la gendarmerie des États aux agents fédéraux, puis aux militaires et agents employés par les entreprises privées qui travaillent en tandem avec les forces de maintien de l’ordre financées sur fonds publics. Puisque la pacification est un processus continu qui exige une action policière permanente, les espaces d’anonymat et de vie privée sont éliminés et des technologies sophistiquées sont développées pour cibler des citoyens et les suivre à la trace. La surveillance et les services d’intelligence sont des parties omniprésentes du paysage. « L’État veut que nous sachions qu’il sait ce que nous savons, qui nous connaissons et comment nous les connaissons », écrit Mark Neocleous et « il veut que nous sachions exactement quelles mesures de terreur il sera prêt à mettre en œuvre au nom de la sécurité. Pourquoi ? Parce qu’il veut que nous nous comportions en conséquence, de sorte que nous internalisions notre propre pacification. » En effet, dans les régimes libéraux, la pacification doit être menée selon la loi : ceci est l’essence des écrits de Kafka. Au moyen des lois sur l’état d’urgence, l’état d’exception et la sécurité nationale interne (aux États-Unis, les Emergency Regulations, States of Exception and Emergency and Homeland Security Regulations), la loi est au service des fonctions policières de l’État.

À l’étranger, une Pax Capital est imposée contre les classes ouvrières tout comme contre l’humanité excédentaire du Global South au nom des valeurs libérales, y compris des droits de l’homme « universels ». Ainsi que Neocleous l’observe, en latin Pax a à la fois le sens de « paix » et de « pacification », la capitulation sans conditions des vaincus, comme dans Pax Romana ou Pax Britannica. À la suite d’une guerre, une « paix » particulière est imposée par les armes, par définition au service de l’hégémonie et des intérêts du vainqueur ou du camp dominant. Puisque le capitalisme est un système mondial, l’étendue de son champ de bataille correspond à l’espace mondial dont il tire ses matières premières et sa main-d’œuvre bon marché et où ses marchés sont situés. Sur ce champ de bataille, des formes diverses de pacification sont employées : « gagner les cœurs et les esprits » dans le langage du contre-insurrectionnel ; « la pénétration pacifique », comme les Français nommaient leurs menées coloniales. Peu importe le nom, ce sont toutes des formes de guerre « sécurocratique ». Dans l’idéologie sécuritaire qui sous-tend la pacification, la guerre est du maintien de l’ordre (comme dans les guerres asymétriques et les opérations contre-insurrectionnelles), tandis que, dans le cas des guerres de classes internes et des guerres ethniques, le maintien de l’ordre est la guerre. Une fois de plus, l’objectif est l’établissement d’un Nouvel ordre mondial libéral. La construction des nations (Nation-building), les changements de système politique (regime change) et le « développement » exigent tous la destruction pour que la reconstruction puisse se faire sur le modèle de l’économie globale de marché, ses modes de gouvernance et sa culture.

2. Un système global de pacification

Étant donné le rôle de la guerre moderne dans la préservation de l’hégémonie capitaliste à partir d’une pacification globale, on peut maintenant décrire les formes principales prises par ce système, illustrées ci-dessous :

« Les guerres horizontales » pour la préservation de l’Empire

Des guerres entre États ou le déploiement sélectif de systèmes d’armement importants servent le premier objectif d’hégémonie des gouvernements et des grandes entreprises (corporations) du Nord global : maintenir leur suprématie sur le système mondial face aux défis provenant de contre-hégémons potentiels comme la Chine ou de forces anti-système telles que le mouvement anti-mondialisation.

« Les guerres verticales » sécuritaires contre les peuples

  • Des guerres asymétriques ou de « petites » guerres pour faire la police globale poursuivent la deuxième tâche hégémonique du capital : maintenir le contrôle global du Nord sur le Sud, sur les périphéries où se trouvent les ressources vitales pour le cœur industriel, c’est-à dire les ressources à bon marché en main-d’œuvre et en produits manufacturés, et là où les flux d’échanges doivent être maintenus.
  • Des guerres de police domestique remplissent la troisième tâche hégémonique de l’élite globale : maintenir leur domination à l’intérieur de leur pays.

À côté des guerres horizontales et verticales « contre », il ne faut pas oublier, bien sûr, les guerres « pour » le profit et les manipulations. Les industries d’armement, de police et de maintien de la sécurité génèrent chaque année un commerce de 2500 milliards de dollars. Les gouvernements et les grandes entreprises ont des intérêts importants dans le développement et la vente des armes et des équipements de sécurité, à la fois comme une source d’emploi et de progrès technologique dans leurs propres pays – qu’il s’agisse des pays du Nord ou du bloc des BRICS – et comme une source profitable d’exportations. Les politiques de sécurité, et le lien entre la politique étrangère et la fourniture d’armes, jouent un rôle clé pour maintenir en place les élites dans les pays qui vous soutiennent. Les Russes pratiquent cette politique en Syrie, en Europe orientale et en Asie centrale, les Anglais au Moyen-Orient, et les Français en Afrique. La grande puissance qui a pris sur elle de préserver le système capitaliste au niveau global est les États-Unis. Ces derniers apportent la moitié des armes vendues ou données dans le monde chaque année. Ils arment les pires régimes politiques mais qui sont assis sur d’importantes ressources, contrôlent des routes commerciales, ou jouent le rôle de gardiens des intérêts du Nord.

3. Les guerres de préservation de l’Empire

Les « guerres », dans le sens que nous utilisons le plus souvent, se réfèrent aux guerres « inter-étatiques ». C’étaient des événements militaires dramatiques opposant des armées s’affrontant sur des champs de bataille et entraînant des morts massives. Ces guerres ont des noms sinistres : « Guerres puniques », « Guerre napoléoniennes », les Guerres mondiales I et II, la guerre au Vietnam, et même la guerre du Golfe. Mais ces formes de guerres sont du passé. En fait, la dernière guerre qui mit aux prises des forces militaires étatiques fut la guerre entre l’Irak et l’Iran, en 1980-1988, et avant cela la guerre du Kippour de 1973. En effet, aucun État de premier ou de second rang ne s’était engagé dans des guerres depuis la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois, les guerres conventionnelles inter-étatiques sont encore la forme de guerre pour laquelle la plupart des militaires continuent de se préparer et de dépenser des milliards d’euros. Nous qualifions de guerre « horizontale » cette forme de guerre. Comme nous allons l’illustrer, c’est une forme de préservation de l’empire, un moyen d’assurer l’hégémonie du Nord global – ses gouvernements et corporations, de même que leurs différents agents de contrôle et de « régulation » : la Banque mondiale, le FMI, l’OMC, l’ONU, l’Union européenne et le reste, si possible par l’intermédiaire de l’OTAN, le bras armé du Nord global. Jusqu’en 1989, le rôle principal de l’OTAN était de maintenir le statu quo avec l’URSS. À partir de 1992, l’OTAN s’est redéployée vers la police du reste du monde, menant 17 opérations de Serbie en Somalie et en Afghanistan. Les États-Unis, unilatéralement ou en coalition avec d’autres États alliés, ont bombardé 27 pays depuis la Seconde Guerre mondiale.

Parmi les contre-hégémons contre lesquels la résistance a été organisée, la Chine constitue l’adversaire le plus craint, même si les économies émergentes du bloc des BRICS sont également un défi à l’hégémonie des pays du Nord, individuellement et collectivement. C’est également le cas d’acteurs non étatiques qui défient la domination du Nord, principalement des forces progressistes ou révolutionnaires, des mouvements de résistance ou de guérilla, qui s’opposent par nature au système dominant. Ces forces vont d’ISIS aux socialistes radicaux et aux mouvements anti-mondialisation et luttant contre le changement climatique, ainsi que la dissémination de technologies militaires à des États de second rang.

La gestion de l’Empire se traduit en termes militaires dans un « spectre complet de domination et de contrôle » que les États-Unis et ses alliés – regroupés dans le G7 – cherchent à imposer sur un champ de bataille global non régulé. Ce système de domination à « spectre large » permet un contrôle potentiel du système mondial tel qu’il est rêvé par les militaires. La « Révolution des affaires militaires » qui a émergé dans les années 1990 considère le monde comme un gigantesque champ de bataille, une arène assez large pour concevoir un réseau militaire susceptible d’intervenir partout. Les champs de bataille conventionnels avaient trois dimensions – terre, air, mer – ayant chacune son armée spécialisée. L’espace moderne de bataille comporte un espace extérieur (incluant les dimensions électronique, informationnelle et le cyber-espace), et le terrain « humain » des sociétés ciblées. L’espace de bataille est désormais global, et n’est confiné dans aucun espace particulier.

La dominance à « spectre complet » repose sur deux éléments opérationnels : d’une part, la domination par la manœuvre (le gain d’avantages décisifs par un armement supérieur, un système d’information plus efficace, une meilleure capacité de déploiement des forces), et d’autre part, la précision dans l’engagement (par un système balistique précis et avancé) permettant de détruire les cibles visées à de longues distances, avec un seul tir. En d’autres termes, selon le Pentagone, la dominance à « spectre complet » « permet de conduire plusieurs opérations conjointement sans rencontrer de véritable opposition ».

4. Les guerres sécuritaires contre les peuples

Pour passer aux guerres « verticales » ou « sécuritaires », la gestion de l’empire implique de gouverner et de pacifier la masse croissante de la population mondiale en « surplus » qui se trouve exclue par les politiques néolibérales. À l’aube du XXe siècle qui a été marqué par le point culminant de l’impérialisme classique, le PIB par tête entre les pays les plus riches et les plus pauvres avait un écart de 22 à 1. Cet écart est passé de 5 863 à 1 en 2016. Cette humanité « en surplus », de plus en plus aliénée par rapport à ses propres ressources naturelles et sa culture, habite dans ce que Mike Davis appelle « la planète des bidonvilles ». Localement et régionalement, cette humanité s’est organisée pour tenter de protéger une partie de sa culture, son espace économique, afin de ne pas être submergée. L’Iran et les différents mouvements islamiques illustrent ce type de résistance, de même que les syndicats, les organisations communautaires, les ONG défendant les droits de l’homme, ainsi que certains mouvements de résistance armés comme les Zapatistes et les populations marginalisées du Nord global, mélangeant souvent la résistance politique avec le crime.

Alors que la guérilla a toujours été une dimension de la guerre en général, le général britannique Rupert Smith prétend qu’un changement fondamental de paradigme a eu lieu au cours des dernières décennies. « Les guerres entre les peuples », comme il les appelle (je préfère le terme de guerres contre les peuples ou guerres sécuritaires, pour montrer leur rôle pacificateur), sont devenues les formes principales de guerres. Dans son livre L’Utilité de la Force (The Utility of Force), Rupert Smith définit ces nouvelles formes de guerres à partir de six tendances dominantes :

  • « Les objectifs pour lesquels nous nous battons changent en passant d’objectifs durs de guerres entre pays industriels vers des objectifs plus flexibles concernant des individus et des sociétés qui ne sont pas des États ;
  • « Nous organisons la bataille parmi les peuples, un fait illustré littéralement et au figuré par le rôle central des médias ; nous nous battons dans chaque foyer dans le monde aussi bien que dans les rues et les territoires des zones en conflit ;
  • « Nos conflits sont sans limite de temps, car nous cherchons à satisfaire un objectif, qui doit être recherché jusqu’à ce qu’un accord définitif soit obtenu, ce qui peut prendre des années ou des décennies ;
  • « Nous nous battons plutôt pour ne pas perdre la force [« atteindre la dominance » ou « pouvoir de projection »] que pour utiliser notre force à tout prix pour atteindre l’objectif (de la victoire) ;
  • « À chaque occasion, les armes anciennes font l’objet de nouveaux usages… car les instruments de la guerre industrielle sont souvent inadaptés à la guerre parmi les peuples ;
  • « Les guerres ont des aspects collatéraux qui n’ont pas de dimension étatique… ».
    Selon Smith, le changement de paradigme reflète le fait que les objectifs des guerres post-inter-étatiques ont fondamentalement changé. Plutôt que de s’engager contre des ennemis étatiques « officiels », dont les forces militaires sont une menace et pourraient être vaincues dans un affrontement militaire, à l’issue duquel le vainqueur impose ses conditions politiques, le but recherché aujourd’hui par un commandement est d’imposer une condition conduisant à l’arrêt des hostilités. Parallèlement à l’obtention d’une stabilisation, et d’une pacification industrielle, la seule condition qui importe aux forces militaires est désormais de garantir un flux stable et régulier de ressources vers les pays du Nord global.

Le schéma ci-dessous décrit les différentes formes de guerres sécuritaires. Dans la mesure où leur objectif n’est pas de défaire un ennemi, mais de créer les conditions d’un contrôle non contesté de la part des corporations sur l’ensemble de la planète, en organisant la police et la discipline auprès des forces susceptibles de faire de l’obstruction, les guerres sécuritaires contre les peuples vont des opérations militaires aux opérations de sécurité domestique et de police locale. À la différence des événements décisifs que furent les guerres entre États, ces guerres nouvelles sont globales, se situent dans des endroits multiples, et sont des guerres sans fin.

Les « petites guerres » asymétriques pour maintenir l’ordre du système-monde

La seconde tâche hégémonique des grandes firmes et gouvernements dominants du « Global Nord » est de maintenir un contrôle actif sur les « périphéries » du système-monde, le « Tiers-Monde », les pays « en développement », les « économies émergentes », dont des ressources vitales sont transférées vers les pays du Centre : ils y trouvent une force de travail et des matières premières à bas prix et doivent, en toute quiétude, pouvoir y faire transiter leurs ressources et leur commerce.

Dans la mesure où elles assurent la sécurisation de tels objectifs dans leur pays, le capitalisme peut être prometteur pour les élites locales conciliantes, recrutées à ces fins et pour la plus ou moins large classe moyenne qui bénéficie de « retombées » des économies du Nord global.

La « guerre verticale » entre les pouvoirs dominants et ceux des périphéries se poursuit en même temps, s’exprimant dans des « conflits de basse intensité » contre ceux qui sont considérés comme récalcitrants, ou sous la forme de menaces plus vagues (les guerres en Amérique centrale et latine dans les années 1970 et 1980 en fournissent des exemples notables) ou encore dans les frappes plus immédiate et ponctuelles d’engagement spécifiques ou d’ « opérations spéciales ».

Les « petites guerres – dont certaines ont de l’ampleur comme en Afghanistan ou dans le conflit russo/ukrainien, ou d’autres sont si petites que nous n’entendons souvent même pas parler d’elles, comme dans le conflit vieux de plusieurs décennies entre le gouvernement birman et les rebelles karen, ou divers guerres par procuration au Congo, ou les « sales guerres » et diverses frappes des drones états-uniens – se distinguent radicalement de nos visions habituelles de la guerre. Il n’y a pas d’armées des États ennemis engagées dans des batailles pour des territoires et pour le contrôle de ressources essentielles. Il n’y a pas une guerre comme événement daté avec un début et un après la « victoire » d’une des parties sur l’autre, avec une fin et un résultat décisifs. En réalité il n’y a pas de champ de bataille spécifié. Les « petites guerres » sont au contraire désordonnées. Et, dans les petites guerres « asymétriques », on voit s’opposer des États à des acteurs non étatiques, des guerres réseaucentriques à des réseaux de résistances, ou des armées, des forces de sécurité et de police au… peuple. Elles étendent le terrain de lutte jusqu’au cœur de la société civile, causant dès lors de significatifs « démocides » (pertes de vies civiles) et parviennent rarement à une conclusion définitive.

Le monde actuel expérimente beaucoup de « petites guerres », parfois même pas reconnues par les termes qui les élèveraient au rang de « guerres », mais simplement désignées comme des « opérations » limitées, ou des frappes et des activités opaques non déclarées. Ce qui ne signifie pas que les petites guerres ne soient pas meurtrières. Il y a eu plus d’un million et demi de morts dans la guerre Iran/Irak de 1980-1988, dont la moitié de population civile. Bien sûr, certaines « petites guerres » sont menées pour des causes apparemment locales : la guerre civile Sunnites-Chiites en est l’exemple le plus clair, bien qu’on puisse lui ajouter les combats endémiques du Congo, le génocide rwandais et ceux du Soudan, des luttes entre forces islamistes et d’autres dans le nord et l’ouest de l’Afrique, de même que des guerres contre le cartel de la drogue au Mexique et en Colombie. Par moments, les grandes puissances doivent se plonger dans de « petites guerres » qui sont devenues incontrôlées, comme ce fut le cas pour les opérations états-unienne, russe, européenne et turque contre Daesh en Syrie (avec en toile de fond le soutien d’Assad ou la lutte contre lui).

Bien que toutes les guerres asymétriques n’opposent pas le Nord global au Sud, elles sont devenues de plus en plus la façon dont le Nord global assure son hégémonie et le bon fonctionnement du système capitaliste mondial. Aux mains du Pentagone et de l’OTAN, les petites guerres asymétriques ne sont guère plus que des actions de police. Mais, dans la mesure où elles ont beaucoup d’histoires et de caractères spécifiques, elles se déroulent sous des appellations variées, comme le montre la carte.

Contrôle policier domestique : les guerres asymétriques chez soi

La troisième tâche hégémonique de l’élite globale est de maintenir sa domination chacune dans son propre pays. La « Sécurité » n’est pas un terme technique, neutre ; il a une totale logique politique propre en tant que justification de la guerre et du contrôle domestique, en défense du système capitaliste mondial et de ses classes dominantes. La « sécurité » cache les conflits de classe et les intérêts des élites au pouvoir. « La sécurité nationale » va bien au-delà des simples contrôles de sécurité dans les aéroports. Elle construit un pont par-dessus le fossé qui sépare d’un côté la sécurité militaire et de l’autre la police et la sécurité domestique – un fossé qui a longtemps été essentiel pour protéger les libertés civiques. Le fait que des états d’exception et d’urgence permanents aient été établis dans beaucoup de pays du Nord global, de même que de nombreuses autres régulations et limitations des libertés civiques, au nom du la « sécurité nationale », est le signe d’une dangereuse émergence d’un État de sécurité qui accorde des pouvoirs non contrôlés et souvent sans surveillance à ses agents de police qui deviennent rapidement militarisés. Le contrôle social remplace les principes démocratiques et les procédures.

Le but de l’État de sécurité est de préserver et de faire progresser l’agenda politique qui permet aux privilèges et aux intérêts des élites politiques et économique dominantes d’être protégés.

Mais comment peut-il convaincre le public large qu’un état d’urgence permanent et un contrôle policier constant sont nécessaires, bien entendu dans son intérêt ? Une façon évidente de le faire et de le convaincre que sa sécurité individuelle et collective est en jeu. Ceci apparaît direct et non problématique. Qui ne voudrait pas être en sécurité ? Qui ne voudrait pas préserver l’ordre social et « notre mode de vie » ? Mais le régime disciplinaire sécuritaire parvient à nous maintenir à notre place, voire à gagner notre accord et soutien en promouvant des valeurs et comportements adéquats au capitalisme libéral et à ses hiérarchies, avec l’aide des institutions éducatives, des pouvoirs religieux, des médias, du discours politique et de la promulgation des lois nécessaires. De telles valeurs « universelles » comme l’individualisme et la responsabilité individuelle, sont promues, de même qu’une vie meilleure par un dur labeur, l’autonomie, la démocratie libérale (« liberté »), l’émancipation humaine (« civilisation », notre « mode de vie »), les droits humains et civiques inaliénables, la sécurité personnelle, la paix perpétuelle et, bien entendu, la rationalité économique du marché. Quand elles sont mélangées au patriotisme et à la peur de l’Autre, de telles normes « universelles » génèrent la « gouvernabilité » de Foucault, un « modèle » de domination qui crée un ordre global autorégulé qui n’a pas besoin d’un surcroît de manifestations de pouvoir ou de coercition. L’hégémonie de classe camoufle son mode de gouvernement coercitif derrière la façade anodine du consensus, de la démocratie et d’indispensables lois et régulations qui semblent techniques. Nous finissons par nous discipliner nous-mêmes.

Ceci ne veut pas dire que les pouvoirs en place peuvent baisser les armes. Quand cela est nécessaire, les autorités consolident leur hégémonie – immanquablement exprimée dans le langage de la sécurité – par des opérations de police et de forces de sécurité militaire et interne, imbriquées.

« Le chevauchement entre les applications militaires et civiles des technologies avancées – entre la surveillance et le contrôle de la vie quotidienne dans les villes occidentales et le déploiement de guerres agressives pour le contrôle colonial ou celui de ressources – est au cœur du... nouvel urbanisme militaire », écrit Stephen Graham dans son livre Cities Under Siege /Villes sous état de siège (2010),

« Le maintien de l’ordre, l’application de la loi civile et les services de sécurité se mélangent dans un ensemble organisé souplement au plan international de forces de sécurité (para)militaires. Une “policisation du militaire” s’opère en parallèle à une “militarisation de la police”... Les “actions de polices de haute intensité” et les “guerres de faible intensité” menacent de fusionner... La doctrine occidentale sécuritaire et militaire est en train d’être rapidement réinventée d’une manière qui rend dramatiquement floue la séparation juridique et opérationnelle entre le maintien de l’ordre, l’espionnage et le militaire, les distinctions entre la guerre et la paix, et celles entre opérations locales, nationales et internationales. [Les guerres] deviennent à la fois sans bornes et permanentes. »

5. Les guerres sécurocratiques sur le champ de bataille global indifférencié

Le graphique ci-dessous montre cinq types de guerres asymétriques, depuis les opérations militaires à l’étranger jusqu’aux opérations militarisées de maintien de l’ordre domestique, qui forment ensemble une matrice entrecroisée de contrôle globalisé. Les petites guerres et les conflits entre États ; les opérations contre-insurrectionnelles, la Sécurité nationale et le maintien de l’ordre domestique – il y a là autant de formes de guerres asymétriques, qu’elles soient menées dans le pays ou à l’étranger. Toutes opposent des forces puissamment armées soutenues par des gouvernements aux forces d’États faibles ou d’acteurs non étatiques, y compris des mouvements de protestation et de résistance. Toutes sont sécurocratiques. Elles consolident l’hégémonie capitaliste de différentes façons, en « créant les conditions » favorables aux opérations du capital. Et elles partagent toutes un espace de bataille global s’étendant des terres étrangères à votre voisinage. La « Guerre de partout » du capitalisme transnational, dont le but ultime est la « sécuritarisation » du monde et la pacification de nous tous, peut être dépeinte de la façon suivante :

Le capitalisme transnational renforce son hégémonie par la guerre partout (guerres sécurocratiques sur le champ de bataille)

Les guerres de « sécuritisation » sont totales. L’espace de bataille sans limites de la guerre moderne s’étend au travers des zones urbaines et des régions rurales d’opérations, sur toute la planète, le cyberespace, la sphère électromagnétique et l’espace lui-même. L’« espace de bataille » est le champ de bataille sans limites de la guerre post-moderne, définie par le Pentagone comme « l’environnement, les facteurs et les conditions qui doivent être maîtrisés afin de mettre en pratique avec succès le pouvoir de combat, protéger la force et accomplir la mission. Ceci inclut l’air, la terre, la mer, l’espace et les forces à la fois ennemies et amies ; les installations, le climat, le terrain, le système électromagnétique et l’information ambiante dans les aires d’opération et d’intérêt ». C’est bien entendu la seule conception compatible avec la « guerre réseaucentrique ». « La nouvelle façon de mener la guerre exposée sur toute la dernière décennie [les années 1990], écrivent les analystes militaires Bowie, Hafa et Mullins,

« n’est pas compatible avec la confrontation entre armées d’États opposés qui prévalait pendant la Guerre froide. En fait, contrairement à la vision eurocentrique de la guerre qui concernait de larges armées et des intérêts vitaux, le centre de gravité stratégique s’est déplacé vers des menaces incertaines émanant d’Asie... Pendant ce temps, les ennemis de l’avenir pourraient inclure des États voyous, des acteurs non étatiques, voire une puissance rivale, tous prêts à saper l’usage de la force des États-Unis, avec l’objectif d’exploiter la sensibilité aux accidents, l’opinion publique internationale et les points vulnérables du champ de bataille... Au plan militaire, il y a eu une radicale évolution s’éloignant de plans rédigés et d’ordres opérationnels vers un espace de bataille fluide, non linéaire, adaptable, dans lequel des cibles sont générées pendant que des plateformes d’attaques se mettent en route. Des aspects qui comptent pour cette façon de générer les cibles s’inscrivent tout d’abord dans l’exigence d’étendre la portée des opérations récentes. S’ajoute à la tyrannie de la distance, la nature insaisissable des forces ennemies et la définition sommaire des ensembles de cibles caractérisées par des occasions uniques, masquées par des tromperies. »

La « Battlespace », dit Colin Gray dans Another Bloody Century : Future War (2005), « se développe maintenant en trois dimensions et va au-delà de l’atmosphère. Ce sont des milliers de longueurs d’ondes électroniques. C’est autant sur le front intérieur que sur le champ de bataille... La bataille dépasse maintenant l’échelle humaine ; elle est aussi rapide que les faisceaux laser ; elle se poursuit 24 heures sur 24. Elle va du spectre de fréquence ultra-bas à ultra-haut et s’étend également sur des milliers de miles .... Les civils et la nature elle-même sont généralement plus menacés que les soldats ».

Rien, en principe, n’empêche maintenant les véritables dominants d’imposer leur propre ordre mondial, tandis que les guerres sécurocratiques dans un espace de combat global indifférencié fournissent les vecteurs de pacification globale. Lorsque nous utilisons, de manière critique, le concept de « pacification », comme l’écrit Neocleous dans War Power, Police Power (2014),

« nous sommes obligés de relier le pouvoir de la police au pouvoir de guerre. En effet, en tant que concept critique, la « pacification » insiste sur l’union de la guerre et de la police d’une manière qui s’oppose fondamentalement à la tendance dominante qui pense à la guerre et à la police en tant que deux activités distinctes institutionnalisées dans deux institutions distinctes (l’armée et la police). Cette séparation idéologique... a imposé aux érudits une dichotomie banale de « modèles », tels que le « modèle criminologique » par rapport au « modèle militaire » ... la « militarisation de la police » et la « police de l’armée » ou le regroupement de « police de haute intensité » avec « guerre de faible intensité ». De tels modèles obscurcissent l’unité du pouvoir d’État ... La « pacification » vise à saisir un lien d’idées - l’accumulation de la guerre-police - dans la sécurité de l’ordre bourgeois. »

La guerre sécurocratique devient rien moins qu’un outil de guerre de classe. Nous pouvons saisir la visée politique derrière le terme « sécurité » apparemment bienveillant en le remplaçant par le terme « pacification ». Nous voulons tous être sécurisés, mais voulons-nous être pacifiés ? La pacification, rendant les gens incapables de résister à l’injustice ou aux répressions, soulève des questions cruciales cachées derrière le terme sécurité. Qui me pacifie  ? Pourquoi me pacifient-ils ? Comment me pacifient-ils ? C’est le genre de questions qui sera abordé. L’objectif est de créer une conscience critique de la manière dont nous sommes manipulés et contrôlés, afin de favoriser des formes de résistance efficaces et, en fin de compte, d’offrir une alternative juste, pacifique et durable au système mondial capitaliste qui nous a emprisonnés.

6. Pas seulement le capitalisme

Le capitalisme transnational fabrique la logique sous-jacente et l’arrière-plan des guerres modernes, mais ce n’est pas la seule cause ou le seul pilote de guerre, bien qu’il soit invariablement impliqué d’une manière ou d’une autre. Comme le suggère le modèle représenté plus loin, les rivalités internes au Big Power jouent également un rôle majeur. S’ajoutent aussi quatre autres causes au moins, mises en évidence par le chercheur militaire Steve Niva, qui méritent d’être mentionnées :

  • La bio-politique de la race et de la culture, qui sous-tend la logique de la colonisation, des États coloniaux et des systèmes de castes raciales. Dans l’ensemble, nous pouvons signaler un système mondial d’apartheid, de hiérarchie raciale et d’exclusion qui se nourrit de guerre, de conflit et de répression.
  • La logique de la souveraineté, l’exclusivité autoritaire du nationalisme, se manifestant dans les états d’urgence, conduit à une police répressive et une tendance à priver les populations de droits, tout en s’appuyant sur diverses prétentions bio-politiques ou des menaces.
  • La logique de la technologie et de la transformation sociale, grâce à laquelle le monde numérique, la surveillance et les technologies de communication, les médias sociaux et les réseaux, entraînent une dynamique propre, affectant nos vies et nos relations de manière non discernée.
  • Les intérêts spécifiques de la guerre, les programmes et les fonctions cachées. Tout cela invente des ennemis, modifie les alliances et l’allure des conflits. S’ensuivent des concurrences idéologiques et des intentions cachées ; des facteurs structurels tels que les relations conflictuelles entre tribus, des seigneurs de guerre, des conflits de classes, ethniques et des alliances ; une corruption institutionnalisée ; des histoires et expériences qui alimentent les conflits ; une concurrence à l’égard du pouvoir politique, des ressources ou des gains immédiats ; des déséquilibres créés par les changements environnementaux ou des changements dans l’environnement politique, social et épidémiologique ; des politiques inappropriées ou destructives (par exemple, l’ajustement structurel de la Banque mondiale, l’austérité du FMI ou les politiques favorisant les cultures de rente, les forces de maintien de la paix, le développement inégal) ; l’usage de conflits extérieurs pour renforcer l’unité intérieure et leur capacité à remporter des élections ou à conserver le pouvoir ; le cooptation et l’intimidation.

Les causes et la mise en forme de la guerre

7. Comment cela se passe-il ? Technologies de destruction et de répression

Enfin, comment cela se passe-il ? Comment l’hégémonie mondiale est-elle appliquée ? Examinons certaines des technologies et des armes à la disposition des élites mondiales.

Les armes conventionnelles représentent toujours l’essentiel des dépenses militaires. À mesure que les forces armées, les forces de sécurité intérieure et la police militarisée augmentent et prennent la forme de guerres sécurocratiques contre les peuples, leurs armes et leurs technologies de répression fusionnent. Par opposition à l’armement strictement militaire qui était principalement réservé aux forces armées classiques, les technologies de répression à l’encontre des peuples passent de l’individu à la société dans son ensemble. Cela comprend des armes, des mécanismes de tri social, des moyens de surveillance et d’arrestation, des moyens invalidants, précis et largement invisibles. Beaucoup sont même commercialisés comme bénins et non mortels.

Les technologies de la répression peuvent être regroupées en deux catégories : celles utilisées principalement par les militaires dans les guerres asymétriques ou civiles, et celles utilisées principalement par la police ou les forces de sécurité intérieure en vue de la « sécurisation » nationale. Bien que le chevauchement s’accroisse – les drones, par exemple, sont employés à la fois dans les opérations militaires et des menées intérieures, tout comme les technologies de surveillance – il existe encore certaines restrictions sur les armes militaires par la police intérieure ; les drones armés n’ont pas encore été déployés par les forces de police dans les démocraties. Néanmoins, la tendance est à la convergence.

Parce que la gauche, comme la majorité de la population, ne porte guère une grande attention aux opérations militaires et policières, sauf dans les cas d’attaques dramatiques, nous savons peu de choses de la technologie qui contrôle une grande partie de nos vies (sans parler d’une industrie qui, au total, militaire et sécurité combinées, génère environ 2 500 milliards d’euros par an). Parmi les armes que nous devrions particulièrement surveiller, on peut citer :

Les robots tueurs / Les systèmes autonomes d’armes létales / Les systèmes non habités

Les armes robotiques, les systèmes d’armes autonomes (AWS) sont des robots militaires capables de localiser, sélectionner et éliminer des cibles humaines sans intervention humaine. Fonctionnant sur la terre, sur l’eau, sous l’eau, dans l’air et dans l’espace – utilisés de plus en plus par les services de sécurité nationale et les forces de police intérieure aux côtés de l’armée – ils constituent un défi fondamental pour la protection des civils et le respect des règles internationales des droits de l’homme et du droit humanitaire. En particulier, ils ne peuvent pas se conformer à un principe fondamental du droit international humanitaire : le principe de distinction, consistant à établir une nette séparation entre combattants, objectif légitime de guerre, et non-combattants. Les robots ne disposent pas de systèmes permettant le traitement sensoriel ou de vision pour séparer les combattants des civils, en particulier dans la guerre des insurgés, ou pour reconnaître les combattants blessés ou abandonnés.

Nano et micro-armes, de nature biologique

La nanotechnologie moléculaire multiplie les capacités militaires/policières par un million de fois, ce qui signifie que les nations ou les populations qui n’ont pas la capacité de fabriquer de telles armes seront à la merci des adversaires qui en disposent. Les nanoparticules représentent la technologie la plus dangereuse que l’humanité ait jamais rencontrée, des milliers de fois plus dangereuse que les armes nucléaires. Parmi les armes et l’équipement qui seront produits :

  • Nano ou Smart dust, un réseau de nano-capteurs invisibles qui se propage comme de la poussière sur une ville ou une région, ayant la capacité de cartographier en permanence, en 3D, une ville entière et toutes ses activités.
  • Les nano-poisons, l’ultime arsenal de précision, attaquent des fonctions spécifiques du cerveau plutôt que de simplement tuer. Ils peuvent créer des micro-champs qui éclatent en rafales imperceptibles détruisant des parties du cerveau. Un « poison de lobotomie frontale » rendra une personne – ou toute une population – incapable de se souvenir de quelque chose. Un poison alcoolique rendra les individus incapables de cesser de boire de l’alcool, etc.
  • Les attaques de Swarmbot (robot-essaim) opérant comme une horde d’oiseaux, un banc de poissons ou un essaim d’abeilles ; la « robotique d’essaim » repend l’idée de la robotique multicellulaire dans laquelle un grand nombre de robots individuels peut effectuer des tâches plus complexes qu’un seul appareil.
  • Les nano-bloqueurs cardiaques et les inducteurs d’AVC ont recours au contrôle de la circulation sanguine pour provoquer une douleur intolérable ou tuer. Parmi les types de guerre biologique, les nano « sous-marines » vont introduire du matériel génétique dans les cellules pour déstabiliser la reproduction cellulaire et provoquer des « mutations génétiques rapides ». Une simple valise peut transporter 50 milliards d’armes nano-antipersonnel capables d’inoculer des doses létales du botulisme à tous les habitants de la terre !
  • Les nano-guerriers, robots qui s’auto-reproduisent à échelle bactérienne, et peuvent détruire les individus, les populations ou les écosystèmes en les consommant littéralement (écophagie). Le phénomène connu sous le nom de « gray-goo », d’autres scénarios écophagiques comme le « gray plancton » qui détruit les océans, les « gray poussières » ou les « aérovores » qui peuvent se reproduire dans l’atmosphère et bloquer toute la lumière du soleil, ou le « gray lichen » qui peut provoquer une destruction écophagique de toute la biologie terrestre.
  • Gigawatt, faisceaux de micro-ondes à énergie solaire ou à nucléaire – sorte de four solaire – capable, depuis des centaines de kilomètres, de faire fondre complètement, chars, avions, destroyers, missiles entrants, etc.
  • Les essaims de missiles composés de missiles individuels d’environ un mètre de long, transportant des ogives d’un kilo, fabriquées par millions, capables de traverser la haute atmosphère et de tuer avec précision au retour dans l’atmosphère terrestre
  • Les insectes cyborg sont transformés en micro-drones. Des milliers de nano-éclaireurs parasitaires – caméras et capteurs – seront placés sur des insectes vivants pour les contrôler. En plus de devenir les yeux et les oreilles de l’intelligence militaire, ces nano-éclaireurs intelligents auront la capacité de déterminer la présence de certains produits chimiques et de détecter les mouvements, la température et les vibrations. Des dispositifs robotiques seront également implantés dans des embryons d’insectes afin de devenir une partie de l’insecte à mesure qu’il grandit, en le transformant en cyborg espion ou assassin.
  • Insectes mécaniques. Le laboratoire de microrobothérapie de Harvard travaille depuis des années à la fabrication de robots inspirés de la biologie et de la taille d’une abeille qui peuvent voler et se comporter de manière autonome comme une colonie – RoboBees project – produisant ainsi des millions de robots micro-assassins. Les ingénieurs de Harvard seront bientôt en mesure de réduire la taille des robots tueurs au point qu’ils ne seront plus visibles à l’œil nu. Des rumeurs prétendent que des ingénieurs de MIT testent des robots tueurs dans des opérations secrètes menées en Iran et en Corée du Nord.

Armes de guerre urbaine et de surveillance

  • Les forces spéciales seront équipées d’une armure hyper-furtive quantique, de « camouflage adaptatif », de voiles nano-réfléchissantes qui les rendent largement invisibles en déformant les ondes lumineuses de manière à réduire considérablement la signature thermique et visible du soldat (ou du policier).
  • Les munitions létales ciblées sont des armes de précision mortelles et cruelles, spécialement conçues pour la guerre urbaine. Les bombes à base de tungstène DIME (Dense Inerte Metal Explosives) utilisent des nanométaux pour créer des explosifs chimiques ultra-brûlants plus puissants que les bombes conventionnelles. Chimiquement toxiques, cancérogènes, endommageant le système immunitaire par atteinte de l’ADN, génotoxiques, les bombes DIME explosent juste au-dessus des têtes des personnes ciblées et des malheureux à proximité. Elles provoquent une explosion puissante qui pulvérise un alliage de tungstène Heavy Metal Alloy, surchauffé. « Lorsque l’éclat frappe le corps », a déclaré le Dr Joma Al-Saqqa, chef de l’unité d’urgence du plus grand hôpital de Gaza, Al-Shifa, où Israël a utilisé les armes DIME lors de son attaque de 2008 et, par la suite, « il provoque des brûlures très fortes qui détruisent les tissus autour des os ... Il brûle et détruit les organes internes, comme le foie, les reins, la rate et d’autres organes ; il rend presque impossible de sauver les innocents […]. Lorsque les plaies ont été explorées [il était difficile de déterminer l’étendue de] la mort des tissus ... Un taux d’infection profond plus élevé a entraîné une amputation ultérieure. Malgré l’amputation, il y a eu une mortalité plus élevée. Les effets de l’arme semblaient radioactifs. »
  • Les « véhicules d’ordre public » sophistiqués emploient un large éventail d’équipements de contrôle de la foule pour disperser ou saisir les manifestants : armes anti-émeutes telles que des fusils de chasse, des canons à eau, des balles en plastique, des irritants chimiques, des liquides toxiques, des dispositifs à électrochocs et des systèmes optico-acoustiques qui peuvent aveugler ou rendre sourd.
  • Souvent négligées, les technologies « disciplinaires », mais « omniprésentes » utilisées pour contrôler, torturer et intimider les personnes arrêtées par la police ou capturées par l’armée pour des raisons allant de la lutte contre le terrorisme et la criminalité aux manifestations ou à la réduction au silence des détracteurs. Les technologies de répression comprennent les entraves de jambes, les menottes, l’usage d’objets contondants exigeant un recours aux médicaments, la potence, les guillotines, les chambres d’exécution et les méthodes « scientifiques » d’interrogatoire et de torture.

UAV (Unmanned Aerial Vehicles) / Drones

Les UAV ou drones, sont des changeurs de jeux dans la sécurité nationale, dit Patrick Lin (2011) :

« Nous trouvons maintenant des robots militaires dans presque tous les environnements : la terre, la mer, l’air et même l’espace extra-atmosphérique. Ils ont une gamme complète de facteurs de forme de petits robots qui ressemblent à des insectes, des drones aériens avec des ailes supérieures à celles d’un avion de ligne Boeing 737. Certains sont répartis sur des cuirassés, tandis que d’autres patrouillent des frontières en Israël et en Corée du Sud. Ils ont des modes entièrement automatiques et peuvent prendre leurs propres décisions de ciblage et d’attaque. Il y a maintenant des travaux intéressants avec des micro-robots, des robots envahis, des humanoïdes, des robots chimiques et des intégrations biologiques. La raison habituelle pour laquelle nous voulons des robots au service de la sécurité nationale et du renseignement, c’est qu’ils peuvent faire des emplois connus sous le nom de 3 « D » [1] : travaux ennuyeux, tels que la reconnaissance étendue ou la patrouille au-delà des limites de l’endurance humaine et la garde debout sur les périmètres ; les emplois sales, tels que le travail avec des matières dangereuses et après des attaques nucléaires ou biochimiques, et dans des environnements inadaptés aux humains, tels que l’eau sous-marine et l’espace extra-atmosphérique ; et les emplois dangereux, tels que le tunnel dans des grottes terroristes, ou la lutte contre des foules hostiles, ou la suppression de dispositifs explosifs improvisés (IED). »

Les drones jouent un rôle clé et deviennent un programme dominant, plus de quarante pays ont des programmes de robotique militaire. Le Pentagone compte environ 7 000 drones aériens, à la fois pour la surveillance 24 heures sur 24 et pour les attaques. Ils combattent les patrouilles aériennes. La nouvelle technologie « Gorgon Stare (surveillance) » qui peut capter des vidéos en direct d’une ville entière. Certains drones armés sont déjà dotés d’une intelligence artificielle, leur permettant de prendre des décisions autonomes en matière de vie et de mort. Israël est le leader mondial de la production de drones et un partenaire majeur dans le développement du Watchkeeper, le futur drone européen, développé avec Thales. En effet, comme le souligne Graham : « L’Agence européenne de défense, un organisme financé par le Royaume-Uni et d’autres gouvernements européens, fait un lobbying intense pour promouvoir la diffusion généralisée des drones au sein du Royaume-Uni et de la police ainsi qu’au sein de la sécurité de l’UE afin de renforcer les capacités existantes des sociétés de sécurité européennes comme BAE, EADS et Thales sur les marchés mondiaux, en plein essor, des drones armés et militaires ».

Armes d’impulsion électromagnétique (EMP)

Basée sur le déclenchement rapide d’une explosion, hautement concentrée et hautement destructrice provoquant une énergie électromagnétique comparable à une explosion nucléaire, une arme EMP déclenchée à 400 kilomètres au-dessus d’un pays n’entraînerait aucun effet de souffle ou de rayonnement au sol mais détruirait le réseau électrique et de communications, stopperait les usines, entraverait la distribution de nourriture et provoquerait un effondrement économique ; les systèmes électriques seraient gravement atteints dans toutes les régions et ce, pendant de longues périodes.

Cyber ​​guerre

Le cyberespace, le « cinquième domaine de guerre », a ouvert de nouveaux fronts pour la guerre électronique, pénétrant dans les ordinateurs ou les réseaux d’un autre pays afin de causer des dégâts ou des perturbations. La première attaque d’armes numériques s’est produite en 2009, lorsque les États-Unis et Israël ont pénétré des ordinateurs iraniens avec le virus Stuxnet, suivis de Duku et Flame. La cyberguerre peut prendre plusieurs formes. Elle peut diffuser de la propagande ou de la désinformation à une population via Internet, vandaliser ou supprimer des sites Web, intégrer des logiciels malveillants dans des systèmes informatiques, espionner, perturber les systèmes informatiques et satellitaires militaires (contrecarrant la domination de tout le spectre) et monter des cyberattaques à grande échelle sur l’infrastructure essentielle. Au moins 120 pays devraient développer activement des capacités de cyberguerre.

Les guerres de sécurisation menées dans un espace de combat indifférencié regroupent des espaces « étrangers et internes », le tout étant surveillé en parallèle par des satellites de haute technologie, des drones, des vidéos « intelligentes », des armes « non létales », de collecte généralisée de données et de surveillance biométrique.

Environnements immersifs : zones de combat qui « voient » (CTS)

Un exemple parfait de la façon dont la technologie militaire s’infiltre dans la police et les administrations municipales au Nord, Combat Zones That See (CTS), un projet de l’Agence de projets de recherche avancée du Pentagone (DARPA), vise à « suivre tout ce qui se déplace » dans une ville, en reliant de vastes réseaux de caméras de surveillance à des systèmes informatiques centralisés. Le logiciel d’intelligence artificielle identifiera et suivra tous les mouvements dans toute la ville, créant des profils numérisés de chacun, afin qu’il puisse être localisé à tout moment. Les programmes déjà mis en place comme « Safe Cities  » et l’installation de caméras de vidéo-surveillance « intelligentes » dans les villes du Global North fournissent des « aperçus stratégiques » à la police et aux autorités en recueillant et en analysant des quantités considérables de données provenant de systèmes de surveillance basés sur la reconnaissance de l’identité humaine, la vidéo-surveillance, les caméras de vision nocturne, les logiciels de reconnaissance faciale, les systèmes de suivi global, les bio-détecteurs, les dispositifs de surveillance et les données recueillies à partir des appels téléphoniques, des applications téléphoniques, des courriels et des réseaux sociaux. Grâce à un tel « tri social », nous sommes incapables ou empêchés d’accéder à des lieux ou des événements particuliers. Sans notre consentement, nos mouvements et même les modèles de consommation sont suivis. En effet, nos mouvements peuvent être prédits, ce qui signifie que nous pouvons être appréhendés parce que soupçonnés de prévoir un acte illégal ou indésirable, qu’il s’agisse d’un crime ou d’une manifestation.

Ingénierie génétique

Les « technologies d’amélioration humaine » menacent (ou promettent, selon votre point de vue) de créer de telles différences dans la capacité de combat entre les soldats du Nord et la police d’une part et leurs adversaires d’autre part, selon lesquelles un « zéro danger » (de notre « côté ») est garanti. Des exo-squelettes bioniques, des combinaisons de combat qui fournissent une protection, une communication, une amélioration mécanique, une gestion thermique et même des compressions de plaies et des médicaments thérapeutiques. Ce sont quelques-unes des technologies qui seront mises à la disposition des agents de contrôle sous la coupe des classes dirigeantes.

8. Résistance à la pacification : un ordre du jour pour la gauche

La tâche qui s’offre à la gauche aujourd’hui est de faire progresser le militantisme pour parvenir à une contre-hégémonie efficace. Il faut aussi sortir du « cloisonnement » entre problèmes particuliers et formuler une analyse globale de ce qui ne va pas avec le capitalisme transnational et commencer à formuler ce que nous suggérons comme système mondial plus juste et plus durable. Ainsi, devrions-nous agir tout comme les transnationales.

L’échec de la gauche à conceptualiser les « guerres mondiales contre le peuple » et la pacification à laquelle elles conduisent révèle un énorme vide dans notre analyse politique. En effet, une telle analyse centrée sur la pacification pourrait être le moyen le plus efficace pour « relier les points » entre toutes ces questions disparates, car c’est là le véritable cœur du problème : comment l’élite capitaliste nous contrôle et nous marginalise. Cela nous conduit aux questions clés mentionnées précédemment : Qui me pacifie ? Pourquoi me pacifient-ils ? Comment me pacifient-ils ? À propos de ces questions, je prétends que nous pouvons construire un mouvement mondial à la fois critique et présentant un double programme : démantèlement de la matrice globale de contrôle tout en substituant ce que David Harvey appelle un « humanisme révolutionnaire ». « Le capital ne peut pas s’empêcher de privatiser, de réifier, de monétiser et de commercialiser tous les aspects de la nature [et de l’humanité], tout ce qu’il est possible de faire... Ce n’est pas entièrement au-delà du domaine du possible », avise-t-il,

« que le capital pourrait survivre... par une élite oligarchique capitaliste qui supervise l’élimination massive génocidaire d’une grande partie de la population excédentaire et épuisée du monde, tout en asservissant le reste et en construisant de vastes environnements fermés artificiels pour se protéger contre les ravages d’une nature externe, qui sont toxiques, stériles et ruineusement sauvages... Il serait faux de considérer les scénarios dystopiques comme des plans impossibles pour l’avenir d’une humanité moins qu’humaine... Le capitalisme ne tombera jamais seul. Il faudra qu’il soit poussé. L’accumulation de capital ne cessera jamais. Il faudra l’arrêter. La classe capitaliste n’abandonnera jamais volontairement son pouvoir. Elle devra être dépossédée. »

Les yeux ouverts sur les technologies de destruction et de répression aux mains de nos maîtres capitalistes, nous devrions entamer notre riposte collective.

Traduit de l’anglais par François Chesnais, Dominique Plihon, Catherine Samary et Jacques Cossart

Références

  • Christopher Bowie, Robert P. Hafa, Jr. and Robert E. Mullins, Trends in Future Warfare, Joint Force Quarterly (2003, p. 132).
  • Mike Davis, Planet of Slums. London : Verso (2006).
  • Stephen Graham, Cities Under Siege : The New Military Urbanism. London : Verso (2010).
  • Colin Gray, Another Bloody Century : Future Warfare. London : Phoenix (2005, pp. 169-170).
  • Jeff Halper, War Against the People : Israel, the Palestinians and Global Pacification. London : Pluto (2015).
  • David Harvey, Seventeen Contradictions and the End of Capitalism. London : Profile Books (2014).
  • Thomas Lemke, Foucault, Governmentality, and Critique (2000)
  • Mark Neocleous, « A Brighter and Nicer New Life » : Security as Pacification, Social Legal Studies 20(2):24, 2011.
  • War Power, Police Power. Edinburgh : Edinburgh University Press (2014).
  • Mark Neocleous, George Rigakos and Tyler Wall (eds.), On Pacification : Introduction to the Special Issue. Socialist Studies 9(2):1-31 (2013).
  • Rupert Smith, The Utility of Force : The Art of War in the Modern World. New York : Vintage Books (2005).
  • John W. Whitehead, A Government of Wolves : The Emerging American Police State. New York : SelectBooks (2013).

Notes

[1En anglais dull jobs, dirty jobs, dangerous jobs.

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