Précarité d’emploi des femmes et propositions en vue d’y remédier

vendredi 26 juin 2020, par Odile Merckling *

Les femmes sont utilisées comme variable d’ajustement des entreprises et travaillent souvent à temps partiel en raison de contraintes familiales : difficultés d’articulation des temps de vie, pour la garde des enfants et l’accompagnement des parents dépendants… Les carrières discontinues sont une conséquence de toutes ces difficultés et du fait que le partage des tâches entre les hommes et les femmes dans la sphère privée évolue très peu depuis 30 ans.

1. L’état des lieux, les contrats et les horaires

Les femmes sont très touchées par le développement de formes d’emploi atypiques, de la sous-traitance, du télétravail, et même des activités informelles, bénévoles... Actuellement, la régression des services publics concerne beaucoup de femmes et de même pour l’emploi salarié du secteur associatif, où les difficultés à obtenir des subventions entraînent l’augmentation du travail bénévole et gratuit.

Les taux d’activité des femmes sont encore inférieurs de 8 points à ceux des hommes (68 % au lieu de 76 % en 2018) et le fait de ne pouvoir être indemnisées en cas de chômage les incite à ne pas s’inscrire à Pôle emploi. L’écart entre les taux de chômage des femmes et des hommes a été nettement réduit depuis 15 ans ; toutefois, les femmes se retrouvent souvent dans le sous-emploi ou dans le « halo du chômage » (personnes non comptabilisées comme chômeuses bien que souhaitant travailler, car elles ne répondent pas aux critères officiels).

Au niveau des contrats, les femmes représentent 60 % des personnes en CDD, 70 % des vacataires, 83 % des temps partiel. 30 % des femmes travaillent à temps partiel – avec un volume horaire inférieur à un mi-temps pour 40 % d’entre elles. En ce qui concerne les statuts d’emploi, on a une majorité de femmes dans les CDD et les contrats aidés, mais une majorité d’hommes parmi les intérimaires et les apprentis.

Dans l’hôtellerie-restauration, la distribution, les services à la personne, le médico-social, l’enseignement, la formation, les contrats de courte durée, les vacations et les temps partiels concernent surtout des femmes. Les horaires variables et excentrés sont fréquents ; compte tenu des plages horaires, l’amplitude de la journée peut être très grande, même pour des temps partiels. Le télétravail (qui a été beaucoup développé depuis quelques années) est présenté, ainsi que le temps partiel, comme une modalité de travail qui permettrait de concilier vie familiale et professionnelle pour les femmes ; mais c’est aussi un instrument pour flexibiliser le travail, avec une charge de travail accrue.

2. Les femmes et l’assurance chômage

Les femmes et les salariés en emploi discontinu sont particulièrement ciblés par plusieurs mesures de la réforme de l’assurance chômage :

- le durcissement des conditions d’accès concerne les personnes en CDD courts ou intérim ; ce sont surtout des femmes et des jeunes, qui ont été exclus de l’Assurance chômage depuis le 1er novembre 2019 ;

- le nouveau mode de calcul du SJR et de l’AJ qui devrait être appliqué au 1er septembre concerne aussi majoritairement des femmes, car 56 % des demandeur-e-s d’emploi de catégories B et C, qui travaillent en activité réduite, sont des femmes. Deux tiers des salarié-e-s ayant plusieurs employeurs sont des femmes.

- La disparition des possibilités de cumul d’une allocation avec un salaire concerne aussi davantage de femmes. La lutte des assistantes maternelles (collectif des Gilets roses) a réussi à empêcher la suppression des possibilités de cumul pour les personnes ayant plusieurs employeurs. Le maintien des possibilités de cumul qui a été obtenu (avec le décret du 26/07/19 – seul point positif) l’a été pour l’ensemble des salarié-e-s ayant plusieurs employeurs.

Le nouveau mode de calcul du SJR conduit à des allocations très basses (400 €) au-dessous du RSA, ce qui pose problème. Le montant mensuel moyen net de l’Allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) était en septembre 2017 de 910 €, dont 805 € pour les femmes et 1030 € pour les hommes – soit 25 % de moins pour les femmes. Pour les personnes en temps partiel, lorsqu’elles ont droit à une allocation chômage, celle-ci est souvent très basse, car calculée en fonction de la quotité du temps partiel. Il n’existe pas de montant minimal de l’allocation journalière pour les personnes qui ont travaillé en temps partiel - quand bien même ce temps partiel a été imposé par l’employeur.

Le nouveau système de contrôles et de sanctions des demandeur-e-s d’emploi (décret du 28/12/2018) repose sur des modalités expéditives, avec par exemple, des sanctions pour « recherche d’emploi jugée insuffisante » ou pour refus de deux offres raisonnables d’emploi (ORE), alors qu’aucune norme n’a été définie dans ces domaines. Ces modalités vont obliger à nouveau beaucoup de femmes à accepter de travailler avec des emplois de faible qualité, à temps partiel et bas salaires.

Les offres d’emploi adressées aux femmes sont souvent très basses. Les demandeuses d’emploi sont souvent envoyées vers des plateformes privées de services à la personne. Les interventions chez des particuliers proposées sont d’un volume horaire moyen de 6 heures par semaine, nécessitent de longs déplacements.

Nous pouvons attendre, suite à la crise sanitaire, une très forte montée des personnes qui vont passer dans le RSA si la réforme de l’assurance chômage est appliquée. En outre, la pression des pouvoirs publics et de Pôle emploi est très forte, pour imposer l’obligation de faire des heures de travail en contrepartie du RSA.

3. Recul de l’autonomie des femmes et de la constitution de droits propres

Les différences de salaires entre les hommes et les femmes se traduisent par un écart moyen de 25 % au niveau du revenu salarial sur l’année, compte tenu à la fois de différences de salaires « en équivalent temps plein » et de différences dans les volumes d’heures de travail. Les retraites de droit direct sont inférieures de 42 % à celles des hommes.

En dépit de changements importants dans les formes de vie familiale (familles monoparentales, recomposées, LGBT) l’autonomie des femmes recule et la lutte contre le patriarcat également. Le fossé est énorme entre l’évolution des formes de vie familiale et les conditions économiques. En cas de difficultés sociales, les personnes sont systématiquement renvoyées à des formes de solidarités traditionnelles. Tout cela accroît la dépendance familiale, surtout pour les femmes et les jeunes – souvent jusqu’à 30 ans et plus. Les jeunes femmes, les femmes enceintes, celles qui ont des enfants en bas âge, celles qui vivent en famille monoparentale, celles qui sont victimes de violences conjugales, sont extrêmement fragilisées. On a une montée des violences conjugales, avec de grosses difficultés sociales au moment des séparations du conjoint.

Les femmes sont encore pour beaucoup dans le système des droits sociaux dérivés de ceux du conjoint (qui a prédominé depuis la création en 1945 du système de Sécurité sociale). La constitution de droits propres ou attachés à la personne n’avance plus, ce qui a des incidences par exemple sur les retraites (importance des pensions de réversion). La continuité des droits sociaux n’existe pas, ce qui complique beaucoup les changements de situation sociale. Beaucoup de femmes en situation de grossesse perdent leur emploi ou leur CDD n’est pas renouvelé à cause de la grossesse. Certaines n’arrivent pas à toucher des indemnités journalières de congé de maternité ou de maladie – même avec un seuil d’accès qui a été abaissé à 150 heures de travail par trimestre.

Les allocations de minima sociaux ne sont pas individualisées, elles sont toujours attribuées sur le critère des ressources du foyer. Les allocataires du RSA sont à 54 % des femmes (dont beaucoup de mères isolées), mais beaucoup de femmes qui vivent en couple ne peuvent pas en bénéficier, si le conjoint travaille, car les plafonds sont très bas. L’Allocation parentale d’éducation (devenue complément de libre choix d’activité) joue en plus un rôle de minimum social pour plusieurs centaines de milliers de femmes, lorsqu’elles décident d’interrompre leur activité pour élever un enfant.

Du coup, on assiste depuis plusieurs années à des déplacements de la réflexion sur la constitution de droits propres, vers une problématique en termes de « revenu universel » ou « revenu de base », qui apparaît comme un moyen de simplifier le système des prestations. Mais c’est en réalité réducteur et très risqué pour les assurés sociaux, car les allocations chômage ainsi que la prime d’activité pourraient être supprimées en même temps et même d’autres prestations comme l’AAH ou l’APL... (Voir les projets de RUA du gouvernement de Macron qui semblent avoir été mis en standby).

4. Conclusions et propositions

Plusieurs catégories en emploi discontinu se sont mises en lutte contre la réforme de l’Assurance chômage, avec à la fois des revendications sur les conditions d’emploi et sur les allocations chômage : les intermittent-e-s du spectacle, les assistantes maternelles (Gilets roses), les permittents en contrats d’extra de l’hôtellerie, la restauration et l’évènementiel, les saisonniers de stations de sports d’hiver. Dans l’hôtellerie, restauration et évènementiel, on a eu la création du CPHRE (collectif de précaires qui travaillent avec des CDD d’usage).

Beaucoup de salariés en emploi discontinu se retrouvent actuellement dans le RSA. Compte tenu de la gravité des mesures de la réforme de l’Assurance chômage, qui peuvent entraîner la privation totale de revenu de remplacement, l’abrogation des décrets abusifs sur l’AC du 28 décembre 2018 et du 26 juillet 2019 apparaît indispensable.

Nos propositions sont la mise en place d’un revenu minimum garanti individualisé et défini « en référence au Smic ». Des solutions doivent être recherchées à la fois, du côté de la RTT, de la reconstitution de statuts d’emploi, d’un développement des services publics et de la création d’un système de Sécurité sociale universel et solidaire couvrant le risque du chômage et assurant la continuité des droits sociaux. Le revenu minimum garanti doit être articulé avec le salaire socialisé, un système complet de Sécurité sociale professionnelle et financé en grande partie par des cotisations versées par les employeurs – dont le montant peut être à redéfinir.

En même temps, il est indispensable de discuter de façon concrète de tous les paramètres du système d’indemnisation du chômage. On ne peut s’en tenir à une revendication de « revenu universel » qui risque de devenir un filet de sécurité et d’entraîner un nivellement vers le bas.

  • L’abaissement des seuils d’accès aux différents régimes d’assurance chômage (interprofessionnel ou des annexes VIII-X).
  • l’instauration d’un Revenu minimum garanti individualisé, avec le Smic comme seule référence, quel que soit le type d’allocation. La référence doit être le Smic ou un % du Smic un peu au-dessous (de 80 % à 90 %) pour les personnes qui n’ont jamais travaillé ou ne travaillent plus depuis plusieurs années.
  • Les femmes en temps partiel imposé doivent impérativement pouvoir toucher ce revenu minimum garanti au Smic.
  • Attribution de toutes les allocations des minima sociaux sur le critère des ressources de la personne et non du foyer.
  • Relèvement important des plafonds de ressources pour les minima sociaux (RSA, ASS, et AAH).
  • Elargissement des possibilités de cumul d’une allocation et d’un revenu du travail (ARE, ASS, RSA, AAH) avec un relèvement des plafonds de cumul au moins jusqu’à une fois et demie le Smic .
  • Prise en compte des années de chômage pour la retraite, la validation de trimestres de cotisations de retraite.
    Il est nécessaire créer des espaces de discussion et une méthode pour débattre de façon démocratique de tout cela.

Ce texte est celui présenté à l’atelier précarité de la CNCL d’Attac du 13 juin 2020

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