G20 en Argentine et mobilisations féministes

vendredi 1er février 2019, par Huayra Llanque

Au long de l’année 2018 en Argentine, les mobilisations féministes ont occupé le terrain : du 8 mars qui a rassemblé plus de 500 000 personnes à la grande « marée verte » pour le droit à l’avortement. Le rôle du mouvement féministe, déjà important dans le contre-sommet de l’OMC en 2017, a été déterminant en 2018 dans la construction de la mobilisation contre le G20 et le FMI. Les organisations féministes se sont mobilisées contre le W20 (women 20) en octobre, puis à l’occasion de la réunion des présidents du G20 des 30 novembre-1 décembre.

La semaine d’action contre le G20 - du 25 novembre au 1 décembre - s’est lancée dans un contexte social tendu. Le premier jour a coïncidé avec la manifestation pour la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce jour là, une autre manifestation est organisée par la CTEP [1] et Barrios de Pie suite à l’assassinat de deux militants. Ces mobilisations éclairent un climat de tension et de répression. Assassinat, diabolisation, surveillance et infiltration des réseaux militants, propagande médiatique, les mouvements sociaux sont sous pression.

Le mouvement féministe qui a mené de rudes batailles témoignant d’une dynamique populaire puissante fait l’expérience d’une contre-attaque conservatrice.
Après l’offensive des courants réactionnaires et intégristes religieux qui a empêché l’adoption de la loi pour le droit à l’avortement au mois d’août, les derniers mois ont été marqués par des mesures sociales très dures qui pénalisent d’autant plus les plus précaires parmi lesquel.les les femmes sont majoritaires. En début de semaine, le verdict du jugement pour viol et assassinat de Lucía Perez, mineure de 16 ans, acquittant les trois accusés a provoqué une profonde indignation. Le mouvement Ni Una Menos [2] prévoit une marche le 5 décembre 2018 dénonçant la « justice patriarcale ».

Les féministes sont conscientes des embûches mais aussi des avancées remarquables qu’elles ont à défendre et à poursuivre. Ainsi, si le droit à l’avortement n’a pas été adopté, la bataille de l’opinion est bien engagée, le sujet ne peut plus être ignoré. L’interêt de renforcer les liens à l’internationale s’est confirmée au long de la semaine d’action contre le G20 : les activités féministes ont clairement adopté une dimension internationale.

Une journée d’ « Ecole d’économie féministe »

Le 27 novembre 2018 l’Ecole d’économie féministe propose un programme d’analyses économiques questionnant les politiques du président Macri et celles pronées par le G20 dans une perspective féministe. La rencontre se tenait dans l’Hôtel Bauen devenu coopérative. Les expériences d’autogestion, de reprise d’entreprise en coopérative, où les femmes ont joué un rôle important, font partie des sujets de réflexion. Le « futur du travail », l’un des thèmes du G20, a été débattu, ainsi que les financements publics, les coupes budgétaires affectant les services sociaux, ou la question de la dette.
Des expériences et analyses de différents pays d’Amérique latine - notamment Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay -, d’Europe - Espagne, France - ont ainsi éclairé l’impact de l’économie libérale sur l’emploi, le quotidien des femmes et l’accès aux services sociaux dans les pays du Sud et du Nord. Les propositions alternatives s’appuient sur une économie sociale et féministe.
vidéo : https://youtu.be/4m0gzYgturU
son : http://vocesnoalg20.org/la-economia-feminista-como-alternativa/

Forum féministe

Le Forum féministe contre le G20, s’inscrit dans le cadre du contre sommet - Confluencia fuera G20-FMI - des 28 et 29 novembre. Ancré dans les mouvements féministes populaires argentins en dialogue avec des mouvements internationaux, le Forum féministe adopte une position critique vis à vis du G20 et du W20, le « groupe d’influence » des femmes du G20. Celui-ci entend valoriser une « équité de genre », son approche reste compatible avec le néolibéralisme sans questionner le caractère structurel des inégalités entre femmes et hommes. Le Forum féministe dénonce au contraire la structure sociale inégalitaire sur laquelle s’appuie le capitalisme et propose des alternatives pour une société soutenable.

Temps fort du Forum, la séance du Tribunal éthique populaire féministe est inaugurée par Nora Cortiñaz, l’une des mères de la place de mai de l’époque de la dictature argentine -Madre de la plaza de Mayo, línea fundadora-. Les jurées considèrent les nombreux témoignages afin d’examiner la culpabilité du G20 et des politiques néolibérales à partir de trois chefs d’accusation :

L’avancée du fascisme en Amérique latine, avec pour « témoin » la députée Monica Francisco, ex-assesseure de Marielle Franco au Brésil, ainsi que des représentantes de réseaux pour les droits des afro-descendant.es [3]. La banalisation de la violence, les offensives anti-féministe, le racisme, ont été dénoncés. La situation au Brésil, avec l’accès au pouvoir de Bolsonaro a été particulièrement examinée. Dans le dernier pays à abolir l’esclavage, le contexte raciste est très ancien. Rappelant la militarisation de villes comme Rio de Janeiro, les intervenantes exigent justice concernant l’assassinat de Marielle Franco.

La question des territoires et de l’extractivisme, pour laquelle les « témoins » (du Honduras, du Brésil, du Paraguay, Mapuche d’Argentine) ont dénoncé la répression subie par la population Mapuche impliquée dans la défense de leur territoire, en rappelant les enjeux pour le climat. Les témoins dénoncent les traités de libre-échange qui bénéficient aux entreprises. Elles dénoncent aussi l’interdiction de l’avortement et l’autorisation des produits toxiques qui provoquent des maladies, des fausses couches, la pollution de l’eau.

Les mouvements migratoires.
Des intervenantes du Mexique et d’Argentine [4] ont apporté leur témoignage. Elles ont indiqué qu’au Mexique des milliers de personnes se sont rebellées contre les lois fascistes, racistes et patriarcales. Les caravanes de migrant.es rassemblent plus de 6000 personnes en provenance d’Amérique centrale en direction des États-Unis. Pour s’y opposer, 5000 forces sont déjà mobilisées et Trump annonce le déploiement de 15000 personnes à la frontière mexicaine.

Le verdict du Tribunal est rendu et déclare coupable les dirigeants et les politiques du G20 qui favorisent la rentabilité au détriment des populations les plus précaires, qui accentuent les inégalités et détruisent l’environnement. Les membres du jury déclarent coupable l’alliance néfaste et perverse entre le capitalisme, le patriarcat, la colonialité qui s’exprime dans le G20, les accords de libre échange, le FMI et l’OMC.

Le Forum s’est conclu par l’Assemblée féministe internationaliste contre les politiques du G20, forme d’échange horizontale qui devient un incontournable des féministes argentines. Face à l’offensive ultra-conservatrice, l’accès au pouvoir de Trump aux États-Unis, de Bolsonaro au Brésil, les organisations ont besoin de discuter les stratégies en approfondissant différentes questions dont le mouvement féministe s’empare dans une approche intersectionelle opposée à celle des dirigeants du G20.

Si l’on peut regretter que ce village alternatif n’ait pas eu plus de visibilité, les formes adoptées par le Forum féministe sont extrêmement porteuses, favorisant les échanges et la construction collective. La semaine de mobilisation rend compte des tensions sociales et des difficultés auxquelles se confrontent les mouvements. La population argentine ne semble pas dupe de la communication gouvernementale et se montre critique vis à vis du prêt contracté par l’Argentine auprès du FMI. L’endettement du pays inquiète, tandis que les dépenses considérables engagées pour le G20 sont jugées indécentes, très mal acceptées dans un pays en crise.
Dans ce contexte la détermination des mouvements féministes reste intacte. Le courant qui circule de région en région à l’échelle mondiale est à la fois vivace et précieux. En ce sens, les mouvements ont besoin de débattre, de définir des stratégies et de renforcer les liens à l’internationale.

Huayra LLanque

Notes

[1Confédération de travailleurs de l’économie populaire (Argentine).

[2En 2015 en Argentine, le mouvement Ni Una Menos se mobilise contre les féminicides et s’étend rapidement à travers les pays d’Amérique latine. Partie prenante du mouvement féministe argentin, Ni Una Menos se mobilise contre les violences et pour le droit à l’avortement.

[3Réseau de Solidarité Afrocolombien, Réseau de femmes noires de Rio de Janeiro, Mouvement Sans Terre de Salvador de Bahía du Brésil

[4LIS, justice en mouvement du Mexique, MIREDES, Migrant.es, réfugié.es et déplacé.es.

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