Pourquoi bloquer les jets privés ?

vendredi 23 septembre 2022, par Attac France

« Pendant que les riches volent, notre avenir s’envole. » Quelques faits et chiffres pour mieux comprendre notre action du vendredi 23 septembre à l’aéroport d’affaires du Bourget, avec Extinction Rebellion, ainsi que notre appel à désarmer les criminels climatiques - à signer et soutenir en suivant ce lien.

Le 23 septembre 2022, des activistes d’Attac et d’Extinction Rebellion bloquaient le terminal du Bourget, empêchant les ultra-riches de prendre leurs vols de confort pour le week-end. Pourquoi s’en prendre ainsi à l’aviation privée ?

Le moyen de transport le plus polluant du monde

Le secteur de l’aviation privée représente à lui-seul un drame climatique et les chiffres sont vertigineux. Quatre heures de vol d’un de ces appareils correspondent aux émissions carbone d’une personne durant toute une année en Europe [1]. Les jets privés sont ainsi 5 à 14 fois plus polluants que l’aviation commerciale (10 fois plus intensifs en carbone en moyenne), et 50 fois plus que le train, et ce chiffre va s’accroître car la tendance s’oriente vers des appareils plus gros et polluants.

La crise climatique s’accentue de manière dramatique, et pourtant l’utilisation de jets se répand : aujourd’hui, la location de jets privés représente 17 % des vols européens, contre 7 % en 2019. Les émissions de CO2 des jets privés ont grimpé en flèche ces dernières années sur le continent, plus rapidement que celles de l’aviation commerciale, avec 31 % d’augmentation de 2005 à 2019.

Au niveau européen, la France figure aux premières places pour l’utilisation de ce moyen de transport ultra-polluant, avec un vol sur dix en jet privé en 2019. Cela représente une émission de près de 400 000 tonnes de CO2, autant que la consommation les émissions annuelles de 180 000 voitures ! Alors même qu’en France, la moitié des vols en jet concernent des courtes distances, moins de 500km soit la distance opérationnelle où les avions sont les moins performants et donc les plus polluants. Les aéroports de Nice et de Paris sont responsables à eux seuls de 60% des émissions de jets privés en France.

Ce mode de transport, qui ne bénéficie qu’aux ultra-riches, est insoutenable. Or des alternatives sont possibles : des lignes de train à grande vitesse existent sur 70 à 80 % des itinéraires les plus populaires en jet privé.

Un mode de transport statutaire pour les ultra-riches, en pleine croissance

Alors que l’aviation privée apparaît ainsi comme une industrie particulièrement polluante, elle est pourtant en pleine croissance.

Les principaux affréteurs du secteur se félicitent d’une forte augmentation de leurs activités. C’est le cas de VistaJet : entre 2020 et 2021, « le nombre de [ses] clients a connu une croissance de 50% sur un an ». L’entreprise a même réalisé « au troisième trimestre 2021, le plus grand succès de son histoire, avec 9 000 heures de vol de plus qu’à la même période en 2019  » [2]. Un chiffre confirmé par des données plus globales du cabinet WingX [3], qui précise qu’au début du mois de novembre 2021, les records de 2019 étaient déjà battus, avec des entreprises du secteur, affréteurs comme constructeurs, qui peinent à répondre à la demande.

Ce rattrapage rapide sur des niveaux d’avant Covid et au-delà s’expliquent certes par un ralentissement des lignes régulières, mais aussi et surtout, pour ceux qui en ont les moyens (s’ils n’en sont pas les seuls utilisateurs, d’après l’ONG Transport & Environment, la fortune moyenne des propriétaires de ces machines à polluer est estimée à 1.3 milliard d’euros) par une volonté d’éviter de se joindre aux nombreux passagers des vols commerciaux et limiter ainsi les risques de contagion en cette période de pandémie. Les prix, à priori prohibitifs (comptez au minimum 5 000 euros l’heure de vol pour des court-courriers), ne semblent pas être un frein pour les plus riches. Toujours auprès de Capital, le vice-président de VistaJet précise des moyennes de facturation de son côté : « 25 000 euros de l’heure avec un minimum de cinq heures, soit 125 000 euros par vol ». Indécent.

L’aviation privée, parfaitement inaccessible à l’essentiel de la population, apparaît ainsi comme un mode de transport statutaire pour les très riches, qui manquent rarement de s’afficher dans ces engins sur les réseaux sociaux. Ils font ainsi sécession dans leur façon de se déplacer, en faisant fi de l’impact environnemental désastreux qui en résulte.

L’inaction coupable des autorités publiques

Pour la Ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, dénoncer l’usage des jets privés serait « à côté de la plaque ». L’usage de ce mode transport ultra-polluant est pourtant le symbole de l’injustice fiscale, sociale et climatique qui s’accroît entre la population et les privilégiés.

L’absence de volonté politique rend les pouvoirs publics complices de ces crimes climatiques. Il est insupportable de constater aujourd’hui que les modes de transport ultra-polluants sont encouragés par les pouvoirs publics, par l’absence de réglementation, voire par des exonérations fiscales comme celle dont bénéficie le kérosène.

Alors qu’elle est très en retard sur ses ambitions climatiques, l’Union européenne (UE) a présenté en juillet dernier son « plan pour le climat » qui comprend notamment un projet de taxation du kérosène aérien à partir de 2023 : malheureusement cette taxe, qui doit augmenter progressivement sur 10 ans, devrait épargner les jets privés. Une aberration ! De la même façon, les jets privés sont également exemptés du système d’échange de quotas d’émission de l’UE.

En France, lors de l’examen de la loi « climat et résilience » en 2021, la majorité a rejeté les propositions visant à amender le texte pour inclure les jets privés dans l’interdiction des vols à l’intérieur du territoire français pour lesquels une alternative en train d’une durée inférieure à 2h30 existe. Une preuve supplémentaire que ce secteur échappe à la plupart des réglementations écologiques. Tout simplement, aucun projet contraignant n’est aujourd’hui engagé pour réduire l’activité de l’aviation privée.

En France, le taux d’imposition pour les carburants de ces avions d’affaires est entre 35% et 40% inférieur à celui de l’essence pour les automobiles : un avantage fiscal pour les plus riches par rapport au reste de la population voyageant en voiture et en train. La Convention citoyenne pour le climat avait d’ailleurs proposé d’aligner ces taux, et a de la même façon, essuyé un veto gouvernemental.

Un gouvernement au service des ultra-riches

On ne peut pas retirer au gouvernement sa cohérence. De la même façon que cette fiscalité avantageuse privilégie les ultra-riches qui circulent dans ces avions polluants, le mandat Macron n’a pas manqué de faire preuve d’injustice dans ses mesures fiscales. La suppression de l’ISF dès le début du mandat et la mise en place de la flat tax ont largement contribué à enrichir ceux qui l’étaient déjà bien assez. Pire encore, le dernier rapport d’Oxfam [4] révèle que la fortune des ultra-riches, sous l’effet des aides massives sans contreparties de l’État, a augmenté plus rapidement en 19 mois qu’au cours des dix dernières années.

De mars 2020 à octobre 2021, les richesses des grandes fortunes françaises ont bondi de 86 %, c’est-à-dire un gain de 236 milliards d’euros au total. Les ultra-riches, qui sont d’ailleurs souvent des dirigeants de multinationales polluantes, ne savent vraisemblablement plus quoi faire de tout cet argent et ont massivement recours à l’aviation privée, qui malgré ses tarifs exorbitants se développe à grande vitesse. Pendant ce temps, une part importante de la population se précarise…

Finalement, on peut déplorer que la seule action initiée par le gouvernement sur le sujet consiste à criminaliser l’action des activistes qui dénoncent ces crimes climatiques. L’aviation commerciale est visiblement un sujet sensible dont l’image ne doit pas être écornée. En juillet 2021, l’Assemblée nationale a adopté en catimini un projet de loi gouvernemental [5] qui sanctionne « le délit d’intrusion sur une piste d’aéroport » de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Une sanction portée à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende « lorsqu’elle est commise en réunion ».

Attac France, le 23 septembre 2022

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