Quand l’argent des grandes banques sent le gaz

mardi 14 mai 2024, par Marie Beyer

En France, si l’abandon du charbon et, dans une moindre mesure, celui du pétrole font (relativement) consensus, le gaz naturel jouit d’une complaisance certaine. Est-ce parce qu’il a été identifié comme un « allié de la transition énergétique » par les grands groupes d’hydrocarbures, comme le reprennent en chœur les médias et les politiques français ?

Ce texte est tiré du numéro d’avril de notre trimestriel, Lignes d’Attac, disponible en adhérant ou en s’abonnant.

Pourtant cet hydrocarbure est composé à grande majorité de méthane, un puissant gaz à effet de serre à l’origine d’environ 30 % du réchauffement de la planète. L’Unep rappelle même que le méthane a un pouvoir de réchauffement plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone…

En Europe, cela n’empêche pas le gaz naturel de se développer depuis la crise énergétique post-Covid 19, et encore plus depuis la réduction drastique des importations sur le gaz russe. En 2023, l’Union européenne (UE) a importé 120 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié (GNL) en augmentant de 40 milliards de mètres cubes ses capacités d’importations de l’Union.

Elle devrait se doter de 30 milliards supplémentaires en 2024 avec 23 projets d’infrastructures GNL en construction ou en extension sur son territoire. TotalEnergies vient d’ailleurs de valider le gisement de Cronos à Chypre en vue d’une nouvelle exploitation gazière en Méditerranée…

En fait, le GNL échappe à la plupart des politiques de décarbonation des banques, assureurs et investisseurs comme l’a mis en lumière Reclaim Finance, une organisation non-gouvernementale française qui vise à mettre la finance au service de la justice sociale et climatique.

L’association a analysé les investissements de 441 institutions financières à travers le monde et le constat est glaçant : 69 % des organisations évaluées n’ont toujours pas de politique pétrolière et gazière et seules 9 d’entre elles se sont engagées à limiter leur soutien aux développeurs pétroliers et gaziers. 98 % n’ont pris aucun engagement pour limiter leur soutien au développement des infrastructures de GNL.

C’était par exemple le cas du Crédit agricole, officiellement engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 suivant une trajectoire 1.5°C mais qui continue à financer des entreprises développant de nouveaux projets pétro-gazier. La banque est notamment le premier soutien financier de TotalEnergies et elle l’accompagne dans le montage financier du projet Papua LNG qui prévoit la construction de neuf puits de production de gaz naturel dans la Province du Golfe de Papouasie Nouvelle-Guinée avec un pipeline terrestre et maritime de 320 kilomètres et quatre trains électriques de liquéfaction.

Interpellée par plus de 50 organisations de la société civile et ONG dont CELCOR, Extinction Rébellion, Stop Total et Reclaim Finance, Crédit agricole a annoncé une nouvelle politique en décembre qui exclut de facto le financement de Papua LNG. Cela ne signifie pas qu’elle cessera d’abonder TotalEnergies, mais c’est une victoire. A date huit autres banques se sont engagées à ne pas financer Papua LNG et la mobilisation continue pour stopper ce projet qui menace aussi bien le climat, les populations et la biodiversité locales, sans retombées économiques positives dans la région.

Au Mozambique aussi la mobilisation citoyenne vise à l’abandon du méga-projet gazier due TotalEnergies dans la province de Cabo DelGado au nord du pays. Le développement a été mis à l’arrêt en mars 2021 à la suite d’une attaque terroriste, mais les allers-retours des équipes ont repris sur le site en 2023.

De même qu’en Papouasie, une coalition internationale soutient l’organisation mozambicaine Justiça Ambiental en interpellant les 26 banques commerciales, agence de crédit à l’exportation et banques de développement qui ont participé au financement du projet. Parmi elles, on retrouve le Crédit agricole et la Société générale - qui a pourtant récemment reconnu la nécessité de mettre fin à l’expansion pétro-gazière et annoncé qu’elle ne financerait plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers, ni les infrastructures associées …

Et pour ne pas contribuer à l’hypocrisie des financeurs, Reclaim Finance a combiné les données de ses analyses sur les banques françaises dans un outil en ligne qui permet d’évaluer l’impact climatique de son épargne et de « changer de banque » pour un établissement moins climaticide.

Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, il n’y a pas d’autre choix que d’abandonner les combustibles fossiles. La logique financière favorisant le profit immédiat à la durabilité doit être abandonnée pour permettre de réorienter les investissements fossiles vers des initiatives contribuant à la sauvegarde des écosystèmes. Concrètement et d’abord, il s’agit d’arrêter dès aujourd’hui tout nouveau projet d’exploitation d’hydrocarbures et tous les développements de nouvelles infrastructures polluantes.

Marie Beyer

Pour en savoir plus sur l’outil de Reclaim Finance : change-de-banque.org

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