Réponses à quatre idées reçues sur la dette grecque

jeudi 4 juin 2015, par Fréderic Lemaire

Malgré l’ingérence et la pression des dirigeants de l’Union européenne, le peuple grec a décidé de prendre son destin en main et d’en finir avec les politiques d’austérité qui ont plongé le pays dans la misère et la récession. Dans les pays victimes de la Troïka, mais aussi dans de nombreux autres pays européens, cette victoire est perçue comme un formidable encouragement à lutter pour mettre un terme à des politiques profitables aux marchés financiers et désastreuses pour les populations.

A mesure que les négociations vont se durcir entre la Grèce et la Troïka, la propagande va s’intensifier et notre travail d’éducation populaire sur la question de la dette publique va devenir de plus en plus décisif. Pour contribuer à ce débat, voici des réponses à quatre idées reçues, véhiculées par les grands médias, sur la dette grecque.

Idée reçue No.1 : la dette grecque représenterait « une ardoise de 735 € par Français » (Le Figaro, 8 janvier), 636 € selon TF1 (2 février)

Pourquoi c’est faux. La France est engagée à hauteur de 40 milliards d’euros par rapport à la Grèce : une petite partie a été prêtée à ce pays dans le cadre de prêts bilatéraux, le reste étant apporté en garantie au Fonds européen de solidarité financière [1] (FESF), lequel a emprunté sur les marchés financiers pour prêter à la Grèce. Dans les deux cas, ces prêts sont déjà comptabilisés dans la dette publique française. Leur annulation n’augmenterait donc pas la dette.

La France devra-t-elle débourser ces sommes en cas d’annulation de la dette grecque ? Non, car en fait la France, comme la plupart des pays, ne rembourse jamais vraiment sa dette. Lorsqu’un emprunt vient à échéance, la France le rembourse en empruntant de nouveau. On dit que l’État fait « rouler sa dette ». La seule chose que perdraient les contribuables français, ce sont les intérêts versés par la Grèce, soit 15 euros par Français et par an [2].

La Banque centrale européenne (BCE) pourrait résoudre facilement le problème de la dette grecque. Elle pourrait rayer d’un trait de plume les 28 milliards d’euros qu’elle détient. Elle pourrait racheter aux institutions publiques (États, FESF) les titres grecs qu’elles détiennent, et les annuler également. Ou bien les transformer – comme le demande la Grèce – en obligations perpétuelles, avec un taux d’intérêt fixe et faible, et pas de remboursement du capital.

Idée reçue No.2 : « La Grèce devra rembourser sa dette » (Michel Sapin, 2 février) ; « Rembourser est un devoir éthique pour un État de droit » (Marine Le Pen, 4 février)

Pourquoi c’est faux. Sauf rares exceptions, un État ne rembourse pas sa dette : il ré-emprunte pour faire face aux échéances. Au budget de l’État figurent les intérêts de la dette, jamais la somme empruntée (le principal). Contrairement à un particulier, l’État n’est pas mortel, il peut s’endetter sans fin pour payer ses dettes. C’est la différence avec l’emprunt d’une famille qui, elle, est obligée de rembourser sa dette.

Mais quand les marchés financiers ne veulent plus prêter à un État, ou exigent des taux d’intérêt exorbitants, les choses se gâtent. C’est pourquoi en 2011, quand les banques ont pris peur devant les difficultés de la Grèce, la BCE et les États européens ont dû lui prêter.

C’est ce qui leur permet aujourd’hui d’exercer un brutal chantage en menaçant de couper les crédits à la Grèce si son gouvernement maintient les mesures anti-austérité promises aux électeurs : hausse du SMIC et des retraites, ré-embauche des fonctionnaires licenciés, arrêt des privatisations.

Chacun sait – même le FMI et la BCE – que l’actuel fardeau de la dette est trop lourd pour la Grèce. Une renégociation est nécessaire, portant sur une annulation partielle, sur les taux d’intérêt et l’échéancier. Il faut pour cela une conférence européenne sur la dette, comme ce fut le cas en 1953 pour celle de la République fédérale allemande.

Idée reçue No.3 : La Grèce, c’est une « administration pléthorique, 7 % du PIB contre 3 % en Europe », qui éprouve une « difficulté à lever l’impôt et à maîtriser les dépenses » (Claudia Senik, Paris School of Economics)

Pourquoi c’est faux. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les fonctionnaires représentaient en Grèce 7 % de l’emploi total en 2001, et 8 % en 2011, contre 11 % en Allemagne et 23 % en France (incluant la sécurité sociale). Les dépenses publiques de la Grèce représentaient, en 2011, 42 % du produit intérieur brut (PIB) contre 45 % en Allemagne et 52 % en France.

Mais alors pourquoi, dès 2007, avant même la crise financière et la récession, la dette publique grecque atteignait-elle déjà 103 % du PIB, faisant du pays le maillon faible de la zone euro aux yeux des marchés financiers ? Une étude récente [3] montre que la flambée de la dette grecque ne résulte pas du tout d’une gabegie de fonctionnaires et de prestations sociales. Les dépenses sont restées globalement constantes en pourcentage du PIB, de 1990 jusqu’à 2007.

Comme en France, ce sont les taux d’intérêt excessifs et les cadeaux fiscaux qui ont gonflé la dette [4]. Les taux d’intérêt exigés par les prêteurs entre 1990 et 2000 ont été extravagants : en moyenne 7,5 %, pour une croissance du PIB de 2,5 %. D’où un effet « boule de neige » : l’État grec s’est endetté pour payer cette hausse incontrôlée des intérêts.

Concernant les recettes publiques, dès l’entrée dans la zone euro en 2001, les riches Grecs ont fait la fête : entre 2004 et 2008, la Grèce a réduit les droits de succession, diminué par deux fois les taux d’imposition sur le revenu et décrété trois lois d’amnistie fiscale pour les fraudeurs5. Au total, avec des taux d’intérêt « raisonnables » et un simple maintien des recettes publiques, la dette grecque aurait été deux fois plus faible en 2007. Depuis lors, c’est essentiellement l’imposition de mesures drastiques d’austérité qui a contribué à l’explosion de la dette en provoquant une grave récession.

Idée reçue No.4 : « L’austérité, ça paye ! La Grèce repart en trombe. Selon les dernières prévisions de Bruxelles, la croissance sera cette année de 2,5 % en Grèce et 3,6 % l’année prochaine, ce qui fera d’Athènes le champion de la croissance de la zone euro ! […] Bref, au risque de choquer : la détestée Troïka a fait du bon boulot ! » (Alexis de Tarlé, JDD, 8 février)

Pourquoi c’est faux. Les Grecs seraient-ils stupides d’avoir mis fin à une politique qui marchait si bien ? En 2014, le PIB de la Grèce est inférieur de 25,8 % à son niveau de 2007. L’investissement a chuté de 67 %. Le taux de chômage est de 26 %, alors même que nombre de jeunes et de moins jeunes ont dû quitter leur pays pour trouver un emploi. 46 % des Grecs sont au-dessous du seuil de pauvreté. Quant aux prévisions de Bruxelles, à l’automne 2011, elles annonçaient déjà la reprise pour 2013. Finalement, le PIB grec a chuté de 4,7 % cette année-là. Quel bon boulot !

Tous les économistes honnêtes le reconnaissent maintenant. Les politiques d’austérité imposées par les institutions européennes ont été catastrophiques pour la Grèce et l’ensemble de la zone euro. Elles ont plongé ces pays dans le chômage et la déflation. Les déficits ont certes été réduits, mais avec un coût social et économique monstrueux.

Et la dette a continué d’augmenter ! Pour la zone euro, elle est passée de 65 % à 94 % du PIB entre 2008 et 2014. L’austérité n’a pas payé, elle a au contraire enfoncé le continent dans la crise. En réduisant les impôts des hauts revenus et des sociétés, les États ont creusé les déficits, puis ont emprunté aux riches pour financer ces fameux déficits. Moins d’impôts payés d’un côté, plus d’intérêts perçus de l’autre, c’est le bingo pour les plus riches !

Conclusion

En Grèce comme dans les autres pays européens, l’effet des politiques d’austérité est le même : toujours plus de chômage, et toujours moins d’investissements publics pour préparer l’avenir. C’est la leçon du calvaire grec. Y mettre fin bénéficierait à toutes et à tous, car il faut stopper la récession que l’austérité crée partout et tirer les leçons de la crise pour s’engager dans un autre modèle de développement.

Ce travail autour des idées reçues sur la dette grecque est réalisé par le Collectif national pour un audit citoyen de la dette publique. Frédéric Lemaire en a ici assuré le résumé.

Quelques références

P.-S.

Cet article a été publié dans le numéro 101 de Lignes d’Attac.

Pour vous abonner à Lignes d’Attac, le journal de l’association Attac, vous pouvez vous rendre sur cette page : Abonnez-vous au journal Lignes d’Attac.

Notes

[1aux États de la zone euro. Cette aide est conditionnée à l’acceptation de plans d’ajustement structurel. Il a été remplacé par le Mécanisme européen de solidarité (MES) en 2012

[2Ivan Best, La Tribune, 5 février

[3Voir ici qui reprend la méthodologie du rapport du Collectif pour un audit citoyen de la dette

[4Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France, mai 2014, 5 Etudes économiques de l’OCDE, Grèce 2009

J’agis avec Attac !

Je m’informe

Je passe à l’Attac !

En remplissant ce formulaire vous pourrez être inscrit à notre liste de diffusion. Vous pourrez à tout moment vous désabonner en cliquant sur le lien de désinscription présent en fin des courriels envoyés. Ces données ne seront pas redonnées à des tiers. En cas de question ou de demande, vous pouvez nous contacter : attacfr@attac.org